Aller au contenu

Pourquoi nos corps sont symétriques

La symétrie est la règle dans le monde animal, et c’est à elle que nous devons la diversité des espèces.

Deux yeux, deux oreilles, au moins deux paires de membres… Dans le règne animal, tous les corps ou presque sont construits symétriquement : c’est à cette organisation que nous devons l’extraordinaire diversité des espèces. Certains de nos gènes codent ainsi les informations nécessaires pour que chaque cellule trouve sa place de part et d’autre d’un axe.

A l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon (Université Claude Bernard Lyon 1 / CNRS / ENS), l’équipe de Samir Merabet vient de révéler que ce potentiel génétique est déjà présent chez les êtres simples comme les cnidaires (méduses, coraux, anémones de mer) et même les êtres unicellulaires. Cette découverte esquisse un scénario étonnant, publié dans le magazine eLife et que nous présente ici Samir Merabet.

Quel est l’intérêt de la symétrie du point de vue de l’évolution ?

Elle permet d’organiser les plans du corps autour d’un ou plusieurs axes, soit bilatéral (droite / gauche) soit radial (circulaire, comme chez les étoiles de mer par exemple). La présence d’axes permet de distribuer des coordonnées spatiales de manière variée, un peu comme une carte sur laquelle on place des points. Dans le cas des vertébrés, il existe également des coordonnées temporelles correspondant aux différentes étapes de l’embryogénèse. Des coordonnées différentes donneront des résultats différents, avec une complexification variée selon les branches évolutives.

Est-ce cela qui permet aux espèces de s’adapter à leur environnement ?

L’impact de l’environnement fait débat. L’adaptation est la règle générale, mais la relation de cause à effet n’est jamais claire. On ne peut pas toujours être aussi affirmatif que Darwin, qui a établi la causalité entre forme du bec et régime alimentaire chez les pinsons des îles Galápagos… Une chose est sûre : tous les animaux possèdent l’outillage moléculaire nécessaire à la diversification, comme un potentiel génétique exploité ou non en fonction des circonstances. L’espèce qui possède l’avantage sélectif prend le dessus sur les autres.

Existe-t-il des exceptions à cette règle générale de la symétrie ?

Oui et non : les cnidaires, des espèces marines comme la méduse ou les coraux par exemple, n’ont pas de symétrie bilatérale  apparente. En réalité, la symétrie est bien présente  mais sous une forme différente. L’équipe de l’Institut de génomique fonctionnelle a travaillé sur l’anémone de mer, mais il existe plus de 10 000 espèces de cnidaires et nous savons qu’elles sont très anciennes. On a retrouvé des fossiles datant d’avant l’ “explosion cambrienne” (il y a entre 542 et 530 millions d’années), époque à laquelle les espèces animales se sont diversifiées de manière très importante. Les cnidaires ont donc précédé les espèces bilatériennes [dont le corps présente une symétrie bilatérale]. L’intérêt de les choisir comme organismes modèles était de comprendre si et comment l’outillage moléculaire permettant la symétrie est présent chez des organismes plus simples.

Quel est cet “outillage moléculaire” qui permet la mise en place de la symétrie ?

On sait que trois gènes principaux sont impliqués : Hox, PCB et Meis. Ils codent les informations de position, permettant aux cellules de prendre leur place dans le corps. C’est comme les pièces d’un Lego qui s’assemblent. Leur importance lors du développement embryonnaire est aujourd’hui bien établie, de même que leur rôle dans les maladies (cancers ou leucémie par exemple) où les cellules n’obéissent plus aux règles habituelles. Pendant longtemps on a cru que l’assemblage était toujours le même, d’où un étonnement : comment des assemblages identiques peuvent-ils donner des formes différentes ? On sait à présent que ces protéines sont capables de former des assemblages variés. Tous n’ont pas encore été disséqués.

Comment cette plasticité est-elle possible ?

Il y a deux grandes hypothèses. La première propose un scénario basé sur des variations très légères, à base de tout petits motifs protéiques formés de quatre ou cinq résidus seulement. La seconde, sur laquelle nous travaillons, postule l’existence de larges régions désorganisées au sein des protéines. Ces régions constitueraient en quelque sorte des réservoirs de formes disponibles, permettant une grande plasticité des motifs protéiques et donc de l’organisation cellulaire.

En quoi les cnidaires sont-ils étonnants ?

Ces organismes ne présentent pas les caractéristiques morphologiques des espèces bilatériennes, mais les gènes Hox, PCB et Meis sont présents chez eux. Plus surprenant encore, ils le sont également chez les organismes unicellulaires. D’où notre interrogation : si des pièces du Lego sont là, les propriétés associées le sont-elles aussi ? Nos travaux ont montré que dès l’organisme unicellulaire on retrouve une grande partie de l’outillage cellulaire des animaux. Une cellule ne présente pas, par définition, une morphologie axiale, mais elle possède l’outillage axial. Il est simplement incomplet, comme les gènes Hox et PCB, ou incapable de fonctionner en l’état, comme le gène Meis. L’hypothèse est donc que ces gènes ont acquis avec le temps des signatures complémentaires pour se diversifier. Comme si, au cours de l’évolution, les organismes font au niveau cellulaire des choses inutiles sur le moment, mais qui serviront plus tard.

Peut-on déjà dire pourquoi ?

Non, il faudrait pouvoir faire de la génétique sur des organismes unicellulaires. C’est d’ailleurs une tendance actuellement : certains laboratoires essaient d’isoler et faire muter certains des gênes d’organismes unicellulaires.

Votre découverte peut-elle constituer une hypothèse expliquant l’explosion cambrienne ?

Pour l’instant, les scénarios proposés pour expliquer l’explosion cambrienne sont surtout paléontologiques (augmentation des ressources en oxygène, en calcium…) ou climatologiques (augmentation des températures). Mais il peut s’agir de coïncidences. On ne sait toujours pas ce qui a déclenché cette extraordinaire diversification du vivant, et on est loin de le savoir !

Pour aller plus loin
L’Institut de Génomique Fonctionnelle de Lyon (IGFL) est une unité mixte de recherche de l’École Normale Supérieure de Lyon, du CNRS et de l’Université Claude Bernard Lyon 1, également affiliée à l’INRA. L’IGFL s’intéresse à la génomique fonctionnelle, c’est à dire à la compréhension des mécanismes génétiques et moléculaires qui permettent aux animaux de se développer correctement et de s’adapter à leur environnement et au fonctionnement du génome dans ces processus.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *