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Médecine légale à Lyon : la mort et les vivants

Plus de 700 personnes sont autopsiées chaque année à l’Institut Universitaire de Médecine Légale de Lyon. Pour découvrir la vérité sur leur décès, mais aussi mieux soigner et protéger les vivants.

 Attention, les images du reportage photo qui illustre cet article peuvent choquer  

Il y a peu de monde ce matin à la cafétéria de la faculté de médecine Lyon-Est. Si on avait faim, on n’aurait pas à attendre longtemps pour se procurer un cappuccino crémeux et un croissant encore chaud. Les étudiants, vêtus de couleurs claires, sont plus nombreux devant la cafétéria que dedans : la température douce et la lumière fraîche annoncent peut-être enfin une journée printanière. A travers quelques gouttes de pluie, un soleil encore jeune chauffe les avant-bras des futurs docteurs qui échangent des plaisanteries ou des baisers. Pendant ce temps, de l’autre côté du bâtiment, les corps de deux hommes sont déposés dans le sous-sol de l’Institut Universitaire de Médecine Légale de Lyon (HCL, Université Claude Bernard Lyon 1).

Ces deux personnes viennent pour une autopsie, la leur

Marine, agent d’autopsie en poste depuis quelques mois à l’Institut médico-légal, note leur nom dans un imposant registre.
Il est 8h35. Monsieur X a 50 ans et arrive de Rilleux. Monsieur Y, 77 ans, a fait un court trajet depuis une chambre funéraire lyonnaise. Ils viennent pour une autopsie, la leur. Leur cercueil est amené dans les mêmes véhicules sombres à longues vitres que pour les enterrements. Marine, agent d’autopsie en poste depuis quelques mois à l’Institut médico-légal, note leur nom dans un imposant registre. Parfois, surtout le lundi, les corps à examiner sont jusqu’à dix ou plus. Marine et ses trois collègues sont alors toutes à l’ouvrage et elles répondent aux appels téléphoniques directement depuis les salles d’autopsie. Ce matin c’est calme, Marine tient le secrétariat pendant que ses collègues préparent Monsieur Y. Elles l’installent sur une table en aluminium dans une vaste sale carrelée. Puis elles incisent son cuir chevelu, dégagent la boîte crânienne avant de l’ouvrir pour en retirer le cerveau.

“C’est passionnant d’assister les médecins pour les autopsies, on apprend plein de choses sur l’anatomie, la médecine et le droit”, raconte Marine. A 27 ans, elle est la plus âgée de l’équipe d’agents. Un métier pareil, ça fait son petit effet en soirée : “Les gens s’étonnent surtout qu’on ne soit pas plus bizarres”, sourit la jeune femme. “Nous sommes toutes les quatre thanatopracteurs de formation, nous n’avons pas de gros tabous avec la mort. Ça ne veut pas dire pour autant qu’on a un intérêt morbide pour cet environnement ! On est utiles ici, tout simplement.”

Outre les quatre agents, l’équipe compte 8 médecins. Aujourd’hui il y a aussi, dans la salle d’autopsie, six étudiants en médecine et une étudiante en droit. “D’habitude on n’est pas aussi nombreux pour un examen. C’est parce que le professeur Malicier autopsie”, précise Marine.

Aimer la mort autant que le vivant

VitrineAssis à son bureau un étage au-dessus, le professeur Daniel Malicier, un café à la main, accomplit dans la bonne humeur un peu de travail administratif. C’est le patron de l’Institut médico-légal (IML) depuis 1992 et il commence les autopsies dans une dizaine de minutes, à 9h. Son bureau ressemble au cabinet d’un médecin de famille : une table d’examen, des tapis, une bibliothèque à portes vitrées. Sur un mur du bureau, une rangée de portraits encadrés, Alexandre Lacassagne en tête. Le professeur Louis Roche, prédécesseur de Daniel Malicier, clôt la série : “J’ai rencontré le professeur Roche pendant mon internat en chirurgie. Avec son approche très humaniste, il a redonné sa première place à la médecine légale lyonnaise.”

Sur un mur du bureau, une rangée de portraits encadrés, Alexandre Lacassagne en tête.
Le professeur Malicier consacre ses matinées aux morts et ses après-midi aux vivants, victimes de violences examinées à l’Hôpital Edouard Herriot. Pour ceux qui en douteraient, les légistes sont de “vrais” médecins qui ont commencé par soigner les vivants avant de se consacrer aux morts. Pour devenir médecin légiste, il faut passer un DESC (diplôme d’études spécialisées complémentaires) après un diplôme de médecine. Les deux activités sont deux faces d’une même médaille. “Pour bien comprendre la mort, il faut bien connaître le vivant. Et la mort renseigne sur le vivant et les manières de mieux le soigner”, résume le professeur Malicier. “Si l’on aime l’un, on ne peut qu’aimer l’autre.”

Entre l’enquête et le diagnostic

“Le scénario qu’on dessine peut éviter une erreur judiciaire ou au contraire empêcher qu’un assassin s’en sorte…”
Le médecin légiste est moitié Sherlock Homes pour la recherche d’indices, moitié Docteur House pour le côté super-diagnosticien. “Notre premier objectif est de comprendre les causes du décès et quels ont été les derniers instants avant la mort”, rappelle le professeur Malicier. L’autopsie va permettre de réunir un grand nombre d’éléments, à partir desquels les médecins vont s’efforcer de reconstituer l’état de santé du défunt et de voir dans quelle mesure il a un lien avec sa mort. “Le scénario qu’on dessine peut éviter une erreur judiciaire ou au contraire empêcher qu’un assassin s’en sorte. Mais c’est aussi une évaluation des soins médicaux qui ont été dispensés avant le décès. Ça ne nous fait pas beaucoup aimer des autres médecins”, sourit-il avec malice. Il y a trois à cinq dossiers d’erreur médicale par an.

Avant de comprendre pourquoi une personne est morte, il faut commencer par s’assurer qu’elle a bien cessé de vivre. “Constater la mort, c’est poser un diagnostic”, explique le professeur Malicier. “On regarde d’une part les signes négatifs de la vie, de l’autre les signes positifs de la mort.” Côté signes négatifs : immobilité absolue, absence de réactivité, pas de respiration, pas de pouls, pas de conscience. Mais ces signes peuvent aussi bien renvoyer au coma ou à la catatonie. On passe donc aux signes positifs de la mort : hypothermie, rigidité (elle commence à la mâchoire), lividités (marques sur la peau qui ressemblent à des ecchymoses), déshydratation et finalement putréfaction.

Au terme de cet examen, le médecin appelé chez Monsieur Y a pu cocher la case “mort réelle et constante” sur son certificat de décès. “Les fausses morts, cela arrive ! J’ai lu qu’ici, à l’Institut, une dame de 65 ans s’était réveillée au début de son autopsie. Le médecin avait un peu vite constaté la mort, elle était en fait dans le coma suite à la prise de barbituriques”, raconte le professeur Malicier. Les employés des pompes funèbres sont d’ailleurs appelés familièrement croque-morts car la légende veut qu’ils mordaient le gros orteil des défunts pour éviter les enterrements trop précoces…

Institut médico-légal de Lyon (Adèle Bailly)

A la recherche de la vérité

LampeUn étage plus bas, pendant que les morts patientent (les uns sur la table d’autopsie, les autres allongés au frais, un dernier attendant dans son cercueil qu’on vienne le chercher), les vivants s’affairent. Une vague odeur de cigare flotte dans le hall carré. On croise des médecins, des employés des pompes funèbres, des policiers. Le professeur Tabib, anatomo-pathologiste, va autopsier avec le professeur Malicier. Son rôle est d’examiner les organes à la recherche de signes de maladie ou de lésions. Une officier de police judiciaire leur présente le certificat de décès de Monsieur Y. Elle est intervenue quand les sapeurs-pompiers, appelés par la famille inquiète, l’ont trouvé sans vie à son domicile. Elle assistera à l’autopsie : “Des éléments seront mis sous scellés à l’issue de l’autopsie, mon rôle est de contrôler que cela se fait de manière régulière. Je vais aussi entendre les premiers éléments de conclusion et voir si cela confirme mes intuitions.”  Monsieur Y a été trouvé un dimanche soir : “Je penche pour un décès le vendredi entre 18h et 20h”, avance l’officier.

Chaque matin, le professeur Malicier s’entretient avec les magistrats des tribunaux qui décident de demander ou non une autopsie en fonction du résultat de l’enquête préliminaire.
Monsieur Y est ici ce matin car le médecin qui a établi son certificat de décès a coché la case “obstacle médico-légal” pour indiquer une mort inexpliquée ou douteuse. Ce sera également le cas pour un décès sur la voie publique, accidentel ou non, un corps non identifié, ou par mesure d’hygiène publique (en cas de risque de contagion notamment). A partir de là, le défunt est emmené dans une chambre funéraire et consigné dans une pièce fermée à clé surveillée par des caméras. La morgue municipale des films policiers n’existe plus : depuis l’ouverture à la concurrence imposée par l’Union Européenne, toutes les entreprises de pompes funèbres peuvent jouer ce rôle. Le corps est ensuite conduit dès que possible à l’Institut médico-légal. La famille ne saura où il se trouve qu’une fois l’autopsie terminée, quand le juge aura délivré un permis d’inhumer et que les pompes funèbres seront venues le chercher.

Chaque matin, le professeur Malicier s’entretient avec les magistrats des tribunaux de Lyon, Bourg-en-Bresse, Bourgoin-Jallieu, Vienne ou Villefranche-sur-Saône qui décident de demander ou non une autopsie en fonction du résultat de l’enquête préliminaire. En 2014, 690 autopsies ont été pratiquées pour 714 corps reçus : c’est peu quand on sait qu’environ 16 800 décès ont été enregistrés en 2013 pour le Rhône et l’Ain (les chiffres 2014 ne sont pas encore connus). “C’est souvent le commissariat de quartier qui est appelé le premier sur les lieux”, indique l’officier de police judiciaire venu pour Monsieur X. “On recherche des traces de lutte, d’effraction, on regarde si le corps présente des blessures défensives… On se fait une première idée.”  Lorsque la cause de la mort semble être d’origine criminelle, une procédure judiciaire est ouverte et l’enquête confiée à la Sûreté départementale. Mais dans “90% des cas” l’examen conclura à une mort non criminelle, assure le professeur Malicier pour qui les suicides représentent jusqu’à un tiers des autopsies.

Comprendre les morts pour soigner les vivants

“Nous allons prévenir la famille car c’est une maladie génétique. Ils pourront se soigner !”
L’autopsie de Monsieur Y a commencé depuis quelques minutes. Le professeur Malicier, assisté des étudiants en médecine, pratique une incision depuis le haut du cou jusqu’au pubis, puis ouvre le sternum pour mettre à jour les organes. La scène est éprouvante pour un non-initié. Personne ne semble s’émouvoir des effluves très fortes, mais les plaisanteries et conversations futiles ont cessé. Le professeur Malicier décrit chacun de ses gestes au fur et à mesure, autant à l’intention des étudiants que pour enregistrer ce qui permettra d’établir le rapport communiqué au juge (si la famille le souhaite, elle pourra en avoir une copie). Il extrait le foie : “Qu’en dites-vous ?” “Il est bleu, ou plutôt gris…. non, il est bleu ardoise”, avancent les étudiants. “Quelqu’un a une idée ?” demande le professeur. Le foie est confié au professeur Tabib qui supervise son examen : l’équipe commence par le peser. Symphonie, étudiante en 5e année de médecine, est en stage ici pour la deuxième fois : “J’avais beaucoup aimé mon stage obligatoire alors je suis revenue. C’est une occasion unique de mieux connaître l’anatomie et de mieux associer un symptôme et une maladie.”

Le foie de Monsieur Y livrera le secret de son décès : le défunt souffrait d’hémochromatose, caractérisée par une surcharge de fer dans l’organisme. À long terme, l’excès de fer engendre des lésions anatomiques et fonctionnelles irréversibles. Monsieur Y n’avait pas été diagnostiqué, ce qui est fréquent pour cette maladie dont les signes d’appel peuvent se confondre avec d’autres. “Nous allons prévenir la famille car c’est une maladie génétique. Ils pourront se soigner !”, indique le professeur Malicier. “Qui peut m’en dire plus sur l’hémochromatose ?” ajoute-t-il à l’intention des étudiants.

Une mission terriblement humaine

Parfois, l’Institut médico-légal estime nécessaire d’alerter les autorités sanitaires. “Nous avons été les premiers à signaler au Ministère de la santé les décès par embolie pulmonaire chez les personnes qui prenaient la pilule de 4e génération”, se réjouit-il. “Après deux ou trois cas, le Ministère a commencé à alerter les patientes.”

“Nous avons été les premiers à signaler au Ministère de la santé les décès par embolie pulmonaire chez les personnes qui prenaient la pilule de 4e génération”
Il n’y a que huit Instituts médico-légaux en France, et seulement deux fournissent les données sur les causes de décès pour les statistiques nationales : Lyon et Paris. “Lyon est au premier rang national en recherche génétique sur les cardiopathies”, ajoute le professeur Malicier. “Nous y contribuons en recensant les morts subites d’origines cardiaques.” L’IML dispose d’un plateau technique agréé par le Ministère de la santé, qui permettrait de faire face à d’éventuelles épidémies, attentats ou catastrophes naturelles pour tout le quart sud-est de la France.

“Notre mission est terriblement humaine”, conclut le professeur Malicier. “Nous travaillons pour que justice soit rendue aux morts, mais aussi pour aider et soigner les vivants.” Une tâche dont les équipes s’acquittent avec beaucoup de respect de délicatesse. Les corps autopsiés sont ainsi réparés, mais pas au point que l’autopsie ne soit plus visible. “La famille sait qu’un examen a été pratiqué, cela peut être perturbant de retrouver un corps ne portant aucune trace”, confie ainsi Marine. Malgré ses 25 ans de pratique et sa foi (“ça facilite les choses”), le professeur Malicier avoue que certaines affaires restent difficiles : “Ce n’est pas la vue des morts qui nous atteint. C’est leur histoire…”

 Le titre de cet article est librement inspiré par celui du très beau livre
de Jean Ziegler “
Les vivants et la mort”.

Copyright images : Eric Le Roux, Université Claude Bernard Lyon 1

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