Au fait, c’est quoi être écrivain aujourd’hui ?
Au fait, c’est quoi être écrivain aujourd’hui ?
En cette Journée mondiale du livre et du droit d’auteur, Laura Bousquet, doctorante au laboratoire ELICO, explore la diversité du métier d’écrivain de fiction à l’ère des réseaux sociaux.
Par Laura Bousquet. Publié le 21/04/2023.
Si on vous demandait de définir ce qu’est un écrivain, vous décririez probablement un être créatif qui passe la majorité de son temps à écrire et donc seul. Peut être également penseriez-vous à des intellectuels au langage élaboré ou à des destins maudits comme ceux de Rimbaud ou Proust.
Quoi qu’il en soit, il y a fort à parier que votre image de l’écrivain soit plus liée à l’acte de création qu’à la dimension commerciale de la littérature. Cependant, l’écrivain n’est pas seulement l’auteur d’un texte, mais il est également une figure publique et un acteur central de l’industrie du livre.
Le livre sacré et le génie solitaire
Une première source d’inspiration est en réalité… poétique. Dans les milliers de tête qui tanguent dans la foule, soulevées en cadence ou non, le poète voit sans mal le rappel du flot, de l’océan, de la vague :Dans l’imaginaire collectif, l’écrivain est celui capable de divertir comme de faire réfléchir, et parfois les deux à la fois. C’est un observateur capable de souligner et de dénoncer les maux de la société tout en déclenchant chez son lecteur des émotions fortes. Qui n’a pas un livre qui l’a marqué, n’a jamais connu l’expérience de s’évader dans un monde imaginaire qui existe seulement sur le papier et dans la tête du lecteur ? Jusqu’à ce que l’adaptation en film ou série vienne tout gâcher bien sûr…
L’écrivain serait donc doté d’un talent, talent qui est renforcé par la dimension sacrée de l’objet livre. Le livre trouve en effet ses origines dans les textes religieux. La Bible reste à ce jour le livre le plus vendu de l’Histoire et a même été le premier imprimé de façon industrielle par Gutenberg en 1454 !
Ainsi, la progressive sécularisation de la société au XVIIIe siècle sera favorable au transfert de la légitimité auparavant accordée aux prêtres vers les écrivains. L’écrivain est ainsi perçu comme se distinguant par sa créativité, son sens de l’observation et son savoir-faire avec les mots, voire souvent son génie littéraire, des qualités rarement associées à la production industrielle.
C’est ici toute une représentation de l’art, de l’artiste et de la création. La création doit être déconnectée des considérations marchandes et l’œuvre venir de l’intérieur de l’artiste ou être nécessaire à la société.
Même les théoriciens de l’industrie du livre proposent une représentation de l’écrivain comme détaché de la production et de la vente de son œuvre. Le premier à avoir schématisé la chaîne de production du livre, Robert Darnton, donne ainsi à l’écrivain pour interlocuteur principal l’éditeur, chargé de produire l’ouvrage et de le commercialiser. Certes, Darnton représente un lien entre l’auteur et le lecteur, mais il ne s’agit que de pointillés donc la communication ne semble pas vraiment forte.
L’écrivain en société
Il est vrai que les moyens pour les lecteurs d’entrer en contact avec leurs auteurs préférés ont longtemps été limités à l’envoi de courriers et à la chance de pouvoir les croiser au détour d’une rue ou d’un événement littéraire. Et ça, c’était bien sûr après l’invention de la poste, et réservé aux lettrés ! Loin étaient les messages privés sur Instagram et les séances de dédicaces à la Fnac… L’écrivain n’a cependant jamais été le reclus que la croyance populaire dépeint, bien au contraire. Dès le XVIIe siècle, les salons littéraires sont des lieux de création où des auteurs comme Marivaux, Voltaire ou Madame de Lafayette viennent lire leurs textes et se faire une idée de leur réception.Ces salons deviendront également, de par leur importance dans le développement des Lumières, des lieux de réflexion et de contestation politique. Cela est à l’image du rôle politique de l’auteur lui-même. L’écrivain est, dans le meilleur des cas, celui qui dénonce les dérives et critique le pouvoir (on pense ici au « J’accuse ! » de Zola et aux caricatures de Napoléon III qui ont valu à Victor Hugo son exil), et dans le pire des cas, au service de dictatures.
En outre, les noms des écrivains ont toujours été des arguments de vente. Alors qu’aujourd’hui les lecteurs s’arrachent le dernier Aurélie Valognes ou Haruki Murakami, il en était déjà ainsi des livres de Balzac au XIXe siècle.
L’écrivain, vedette médiatique
Si les écrivains ont toujours été les coqueluches des élites, il faudra attendre le développement de la lecture comme passe-temps, permis par la baisse de l’illettrisme et du prix des livres – avec la création du livre de poche -, pour qu’un plus grand nombre deviennent célèbres auprès du grand public.
C’est ainsi qu’au début du XXe siècle, on assiste à l’essor des best-sellers. La quête des meilleures ventes va alors entraîner une mise en avant des écrivains, plus particulièrement à la télévision et à la radio. Des émissions littéraires sont créées pour recevoir les auteurs faisant la promotion de leurs nouvelles parutions. Dans les années 80-90, c’était Bernard Pivot avec Apostrophes et Bouillon de culture, aujourd’hui c’est Augustin Trapenard avec La Grande Librairie.
L’image de l’écrivain est alors à prendre au sens littéral, c’est-à-dire comme sa présence physique, comme ici sur des affiches publicitaires.
L’amplification par le numérique : l’écrivain comme communicant
Nous l’avons vu, l’écrivain a toujours eu un rôle actif dans la promotion de ses livres et a été en contact avec ses lecteurs au cours de divers événements littéraires, par la presse et à travers les courriers qu’il reçoit. Le numérique ne vient donc rien apporter de nouveau, mais décupler et faciliter le contact.
La présence en ligne des auteurs prend diverses formes : blogs, sites Internet, comptes sur les réseaux sociaux (je suis à peu près sûre que vous avez entendu parler de l’activité sur Twitter de JK Rowling). Les auteurs font non seulement la promotion de leurs livres, mais partagent également des opinions, des moments de leur vie et dialoguent avec leurs lecteurs. Comme le disent les professionnels de l’édition que j’interroge pour ma thèse, les auteurs créent et gèrent des communautés et deviennent ainsi les community managers de leurs propres marques. Et je ne parle même pas des auteurs autoédités qui parviennent à se faire un nom sans éditeur pour les soutenir !
Ce lien constant avec les lecteurs vient questionner en profondeur le processus de création. Les auteurs demandent l’avis des lecteurs, lisent leurs critiques et, particulièrement dans le cas des fictions en ligne, écrivent parfois sous les conseils des lecteurs.
Mais cette question de la création, je vais la laisser pour ma thèse. Car aujourd’hui, c’est la Journée du livre et du droit d’auteur et justement, il y a depuis quelques années un mouvement de défense de ce droit.
L’écrivain, plus qu’un créatif
J’espère que vous l’aurez compris, l’écrivain est aujourd’hui plus que jamais un acteur majeur du commerce du livre. Vous serez alors peut-être étonnés d’apprendre que les auteurs (y compris les illustrateurs) sont très très peu rémunérés.
En France, le prix du livre est encadré par la loi Lang de 1981. Cette loi stipule que le prix de vente est fixé par l’éditeur et ne peut être changé par le vendeur, cela dans le but qu’il soit suffisamment élevé pour garantir une rémunération juste à chaque maillon de la chaîne. La rémunération de l’auteur varie donc en moyenne entre 8 et 12% du prix de vente hors TVA – soit pour un livre à 21€, entre 1.68€ et 2.52€. Ce pourcentage est fixé en fonction des ventes précédentes de l’auteur. Et disons que peu d’élus sont à 12%… Les auteurs de BD sont même souvent en dessous de 5%.
Les auteurs, bien souvent très précaires, militent donc pour la mise en place d’une rémunération minimum à 10% établie par la loi. Jusqu’ici leur requête n’a pas été entendue…
Cet article a été écrit par Laura Bousquet pour Sciences pour tous.
Sa bio
Après des expériences professionnelles au sein de maisons d’édition et de librairies, Laura Bousquet réalise une thèse sur les plateformes de lecture sociale (Babelio, Goodreads, etc.), lieux d’échanges et de publication de critiques pour les lecteurs, et leur utilisation par les éditeurs de littérature en France, en Allemagne et aux États-Unis. À travers des entretiens, elle les interroge sur le rôle du lecteur, celui de la maison d’édition et ainsi analyse le processus de création littéraire à l’heure actuelle.
Ressources
Bénichou Paul, Le sacre de l’écrivain, 1750-1830 : essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Gallimard, Bibliothèque des idées, 1996, 492 p.
Darnton Robert, « What Is the History of Books? », Daedalus, 1982, vol. 111, no 3, pp. 65‑83.
Demême-Thérouin Amandine, « Les salons littéraires de l’Ancien Régime : Des espaces critiques atypiques », Postures, 2016, Réfléchir les espaces critiques : consécration, lectures et politique du littéraire, consulté le 9 avril 2023, URL : https://revuepostures.com/fr/articles/dememetherouin-24.
Ducas Sylvie, « Best-sellers d’hier et d’aujourd’hui », in Splendeurs et misères de la littérature, Paris, Armand Colin, Hors collection, 2022, pp. 225‑244, doi:10.3917/arco.bessa.2022.01.0225.
Legendre Bertrand, L’Édition, Paris, Le Cavalier bleu Éditions, Idées reçues, n˚ 176, 2008.
Bläsi Christoph, « Precarious Alliances: Cultures of Participation in Print and Other Media », in Precarious Alliances. Cultures of Participation in Print and Other Media, Bielefeld, transcript Verlag, 2016, p. 316.