Pollution lumineuse
l'urgence est à l'extinction des feux
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l'urgence est à l'extinction des feux
Pollution lumineuse, l'urgence est à l'extinction des feux
Pollution lumineuse, l'urgence est à l'extinction des feux
Par Matthieu Martin.
Ville de demain | La pollution lumineuse touche tous les organismes vivants, du zooplancton aux mammifères, en passant par les insectes, les amphibiens, les oiseaux…, sans oublier l’homme. Si des politiques locales se montrent en faveur de la réduction de l’éclairage la nuit, leur effet pour la biodiversité reste limité par l’ampleur du halo lumineux des grandes villes. La position de ces dernières s’avère indispensables pour mener une politique cohérente de réduction de la pollution lumineuse.
L’effet de la lumière sur la biodiversité est connu depuis longtemps. Dès le début du XIXe siècle, on avait constaté l’influence néfaste des lumières des phares sur les oiseaux migrateurs. Plusieurs documents attestent par exemple d’oiseaux venant s’écraser contre des phares. Mais à l’époque, la responsabilité de l’homme dans cette perturbation de la vie animale restait relative, tout juste « un facteur de plus » dans la régulation par les éléments – brouillard, tempêtes – des populations d’oiseaux [1]. Depuis, la recherche a révélé l’ampleur des dégâts causés par la pollution lumineuse liée à nos activités sur la biodiversité. Rien qu’en France, l’éclairage des lampadaires publics tuerait près de 2 000 milliards d’insectes par an, expose Emmanuel Desouhant, chercheur au Laboratoire de biométrie et biologie évolutive (LBBE). Aux États-Unis, l’éclairage du mémorial du World Trade center, à l’instar des phares, perturberait les oiseaux dont la route migratoire traverse New York. Une étude américaine décompte en effetprès de 160 000 oiseaux mis en danger chaque année [2].
Le halo des villes, une pollution lumineuse diffuse
Ces chiffres étourdissants ne sont pourtant que la face émergée de l’iceberg. La lumière directe et à forte intensité a un impact bien visible sur la faune et la flore – et l’homme lui-même n’est pas épargné. En revanche, ce qui est moins connu, c’est l’effet sur la biodiversité de la lumière à faible intensité. Une composante qui passe facilement inaperçue puisque l’on parle d’intensités lumineuses non-perceptibles par l’homme. Or, les recherches de ces dernières années ont révélé que cette dernière est une composante essentielle de la pollution lumineuse. « Pendant longtemps, on a travaillé avec des intensités lumineuses très forte. Puis, on s’est rendu compte que si l’on veut travailler dans une ambiance de pollution lumineuse, il fallait descendre à des doses très faibles pour que ce soit pertinent d’un point de vue écologique », retrace Thierry Lengagne, chercheur au Laboratoire d’Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA). En effet, le halo lumineux qui entoure les villes la nuit propage une lumière de faible intensité aux alentours. Jusqu’à 100 km les soirs couverts, avec la réverbération de la lumière par les nuages.
« le halo lumineux qui entoure les villes la nuit propage une lumière de faible intensité aux alentours. Jusqu’à 100 km les soirs couverts »
Or, « cette pollution lumineuse touche tous les organismes vivants, du zooplancton aux mammifères, en passant par les insectes, les amphibiens, les oiseaux…, sans oublier l’homme », résume le chercheur. Toutes ces espèces sont impactées différemment et à différents niveaux. À Lyon, des chercheurs ont montré chez des amphibiens que la pollution lumineuse impacte l’expression de leurs gènes au niveau intracellulaire. « Ces effets au niveau intracellulaire vont impacter les deux traits majeurs des individus, à savoir la reproduction et la survie, ainsi que leurs mouvements ; donc modifier les interactions avec les espèces de l’écosystème » souligne Emmanuel Desouhant. C’est ce que l’on observe par exemple au large des côtes. En mer, le zooplancton effectue en 24 heures une migration des eaux profondes vers la surface. Un cycle réglé sur la lumière naturelle. Or, il s’avère que le halo des villes en bord de mer perturbe cette migration. Le zooplancton se situant à la base de la chaîne alimentaire des milieux marins, c’est tout l’écosystème, des crustacés aux poissons et même les oiseaux, qui pourrait s’en trouver affecté. « C’est un effet cascade. Si on modifie la disponibilité des ressources, les interactions et la compétition entre individus, on impacte les écosystèmes, au-delà de l’individu », poursuit le chercheur.
La pollution lumineuse, en jouant comme une barrière ou un piège selon les espèces, peut tendre à isoler des populations qui interagissent naturellement. Afin de limiter ces impacts néfastes pour les écosystèmes vivants, des écologues, géographes et juristes lyonnais ont travaillé ensemble pour établir une « trame noire ». Il s’agit d’une part d’identifier des zones de connexions clés entre différentes espèces, d’autres part d’observer si la pollution lumineuse n’impacte pas ces connexions. « À terme, cette cartographie doit permettre de travailler avec des élus locaux pour réduire cette pollution lumineuse, éteindre localement des sources de pollution lumineuse », explique Thierry Lengagne, principal investigateur de cette étude.
Réduire la pollution lumineuse en ville, une réflexion tout azimut
L’heure est donc à l’extinction des feux. Mais comment s’y prendre ? De fait, les villes modernes se sont bâties pour maintenir une multitude d’activités la nuit. Éclairage public, éclairage publicitaire, monuments et bureaux, transports routier, ferroviaire et aérien… La liste des sources lumineuses en ville est longue. En 1962, l’invention de la LED a permis un gain énergétique considérable à moindre coût, favorisant par la même occasion la multiplication des spots lumineux un peu partout en milieu urbain. Aujourd’hui, les initiatives d’éclairage intelligent (smart lighting) se multiplient et la crise énergétique a entraîné un déploiement des politiques d’extinction des lumières en ville. Mais ces démarches considèrent bien souvent le problème d’un point de vue énergétique. Or, l’enjeu que représente la diminution de la pollution lumineuse pour la biodiversité va bien au-delà. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’une réduction de l’intensité lumineuse. La qualité de la lumière est également importante à prendre en compte souligne Emmanuel Desouhant. « Des études ont montré que les zones avec un éclairage à lampes de couleurs tirant vers les couleurs chaudes, avec des temps d’extinction plus long, avaient moins d’effets négatifs sur la biodiversité ».
« la structuration historique de l’éclairage de la ville de Lyon– qui n’a pas été pensée en ce sens – ne favorise pas le déploiement d’une extinction ciblée des feux »
Depuis 2018, la loi stipule que les éclairages publics doivent utiliser des couleurs chaudes (jaune, orange). De même, il existe un certain nombre de réglementations encadrant les éclairages publics, le patrimoine ou encore certains axes routiers. En pratique, la mise en application en ville de ces politiques et réglementations est la prérogative des maires. Pourtant, du point de vue de l’impact sur la biodiversité, le problème de la pollution lumineuse ne peut se résoudre uniquement à l’échelle des municipalités. En effet, le halo lumineux des grandes villes limite l’effet des politiques locale alentours en matière de réduction de l’éclairage. La position des grandes villes, ainsi qu’un rapprochement au niveau régional, s’avèrent donc indispensables pour mener une politique cohérente de réduction de la pollution lumineuse. À Lyon, le plan sobriété de la ville de Lyon prévoit de limiter l’éclairage patrimonial, de réduire les amplitudes horaires des illuminations de fin d’année et expérimente une interruption de l’éclairage public la nuit. Mais « si Les grandes villes sont enclines à réduire leur facture énergétique, la structuration historique de l’éclairage de la ville de Lyon– qui n’a pas été pensée en ce sens – ne favorise pas le déploiement d’une extinction ciblée des feux » explique Thierry Lengagne, également président de la ligue pour les oiseaux de l’Ain (LPO). Un changement de paradigme complet pour une ville qui accueille chaque année la Fête des lumières et qui a bâti depuis 40 ans un plan Lumière ambitieux. Une baisse de ce plan aura des impacts d’un point de vue touristique et du rayonnement de la ville, anticipe-t-on. Autre point de crispation : la réduction de l’éclairage en ville s’accompagne bien souvent d’un sentiment d’insécurité. Pour l’urbaniste Sophie Mosser, « la croyance que l’éclairage et la sécurité vont de pair est aujourd’hui fortement ancrée dans l’opinion publique » [3]. Pourtant, ce lien n’est pas si évident qu’il y paraît et peu d’études sont menées à l’échelle des villes pour mesurer l’impact réel de l’extinction de l’éclairage sur l’insécurité réelle.
Carte des communes participantes à l’action d’extinction des feux « La nuit est belle » dans la région lyonnaise. En bleu foncé, extinction complète le 23 septembre ; en bleu clair, extinction quotidienne ; en jaune, pas d’extinction. © Mathilde Mauger-Vauglin.
Afin de poursuivre ses activités la nuit, l’homme n’a cessé de chasser l’obscurité, conduisant progressivement au tout éclairage en milieu urbain. Mais aujourd’hui, l’enjeu de la pollution lumineuse sur les écosystèmes – et par extension l’impact sur nos sociétés – nécessite une remise en question de ce mode de pensée. Où a-t-on besoin de lumière et pourquoi ? Et comment concilier ces activités avec les besoins naturels des écosystèmes ? La peur du noir nous a rendu aveugles aux services écosystémiques rendus par la nuit. Services aujourd’hui menacés par la pollution lumineuse, ce qui, par effet cascade, risque d’impacter l’homme. Par exemple la production de graines, en perturbant les insectes pollinisateurs. C’est donc la base de notre alimentation qui pourrait s’en trouver chamboulée. Dans un contexte de changement climatique, d’un accès à l’eau problématique pour les agriculteurs, la pollution lumineuse est facteur que l’on ne peut plus négliger. Peut-être est-il temps de changer notre point de vue sur l’obscurité. Ne plus simplement la considérer comme un frein à l’expansion de nos activités, mais une ressource territoriale, à l’instar du label « villes et villages de France ». Non plus une source d’angoisse, mais une ressource précieuse pour la durabilité de nos villes.
Ressources
Pollution lumineuse : doit-on éteindre la lumière ?, un article du National Geographic
Un dossier Sciences pour tous réalisé à l’Université Claude Bernard Lyon 1
Comment créer des espaces plaisants à vivre pour toutes et tous, performants dans leur manière de rendre des services multiples, et adaptables et résilients face aux défis de l’Anthropocène ? Ces derniers, dans un contexte d’urbanisation croissante, ont démontré aux décideurs comme aux citoyens qu’un changement de paradigme est nécessaire. Il n’est plus possible de concevoir une métropole comme un territoire largement découplé de la nature, mais bien d’imaginer des territoires urbains et péri-urbains comme des socio-écosystèmes où humains et non-humains peuvent vivre en harmonie.
S’appuyant sur des recherches et des travaux en cours à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et dans les laboratoires lyonnais, des chercheurs et des chercheuses posent un regard sur la ville de demain, et l’importance de renouer avec notre environnement, de lui faire de la place et de le faire durer.
Un dossier Sciences pour tous réalisé à l’Université Claude Bernard Lyon 1
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