On ne prévoit bien que ce que l’on connaît. Mais comment faire si ce que l’on cherche à comprendre n’est presque jamais observé ?
Réponse avec la théorie des valeurs extrêmes, expliquée par les mathématiciennes de l’Institut Camille Jordan Anne-Laure Fougère et Cécile Mercadier.
Le changement climatique est-il réel ? Les cyclones sont-ils de plus en plus nombreux ? En présence d’une nouvelle tempête du type Xynthia, quels devraient être les niveaux déclenchant une alerte ? Pourrait-on revivre avant dix ans une canicule comme celle de 2003 ? Les questions liées aux risques environnementaux sont nombreuses. Outre les pertes humaines redoutées, elles impliquent des enjeux économiques, migratoires ou sociétaux considérables et qui doivent être anticipés.
Comment étudier ce qu’on n’a jamais vu ?
Ces risques ont une caractéristique principale : la rareté. Or, pour qu’une étude statistique soit pertinente, la condition sine qua non est précisément de disposer de beaucoup de données. Les événements rares, par nature peu observés, posent donc une difficulté statistique immédiate. La théorie des valeurs extrêmes est une des voies empruntées pour faire face au manque d’observations. Au coeur des probabilités et de la statistique, cette thématique mathématique a pour but de proposer de nouveaux modèles probabilistes pouvant représenter les valeurs extrêmes d’un phénomène. Elle offre la possibilité de tester l’adéquation des données étudiées au modèle proposé, d’évaluer statistiquement les réponses apportées par ces modèles et de comparer l’efficacité de différentes procédures.
Les risques environnementaux peuvent être quantifiés : probabilité qu’un événement catastrophique se produise, fréquence moyenne d’apparition pendant un siècle ou une décennie… La difficulté pour définir ou estimer ces indices ? Être au plus près de la réalité. Les phénomènes à étudier sont en effet d’une grande complexité.
Le défi : représenter mathématiquement la réalité
Ils impliquent de très nombreuses variables, dépendant pour la plupart de la localisation, du temps et d’une multitude d’autres facteurs : la température, le débit d’une rivière, le cumul journalier de précipitations… Une des ambitions partagées par les chercheurs aujourd’hui est par exemple d’intégrer la dépendance temporelle et/ou spatiale, sans transformer les modèles en “usines à gaz” d’une complexité telle que l’on ne voie plus ni quels sont les ingrédients mathématiques essentiels, ni comment étudier la qualité de ces modèles.
Intégrer des informations de sources différentes
Le travail des statisticiens consiste à répondre à ces questions tant au niveau théorique qu’au niveau applicatif. Comme la plupart des branches de la statistique, la théorie des valeurs extrêmes est en interaction avec de nombreux domaines d’application. Des collaborations étroites entre mathématiciens, hydrologues, climatologues et urbanistes permettent d’intégrer des informations de sources différentes dans les modèles développés, et garantissent un plus grand réalisme des modèles.
Les statisticiens sont également amenés à répondre à des questions spécifiques, posées par des organismes de recherche ou des entreprises telles que le Centre National d’Etudes Spaciales, Safran Turboméca, Volvo ou EDF. Quelle probabilité pour un avion de faire une sortie de piste, pour la température d’un cours d’eau de dépasser un seuil entraînant des difficultés de refroidissement d’un réacteur nucléaire, pour un sinistre de se produire, d’un montant tel que la compagnie d’assurances chargée de le couvrir se retrouve en difficulté financière ? Grâce à ces collaborations, les chercheurs académiques affinent des outils mathématiques en meilleure adéquation avec le monde réel.
Le problème se pose avec acuité pour la survenue d’un accident dans un système complexe, qui est le résultat d’un très grand nombre de combinaisons d’événements indésirables possibles : les dangers des systèmes complexes présentent un certain degré d’imprédictibilité, dépendant de multiples enchaînements et interdépendances, les rendant pour une grande part indéterministes : il s’agit de diminuer la probabilité d’occurrence et /ou la gravité de l’accident en renforçant toutes les barrières techniques (conception, maintenance …), managériales et organisationnelles (procédures, formation, coordination des équipes, conditions de travail …) en minimisant le nombre et la portée des erreurs latentes du système sans se cantonner aux erreurs humaines actives (inattention, inexpérience, stress, …) qui sont souvent seulement les déclencheurs de la catastrophe : voir La sécurité au travail dans les systèmes complexes : http://www.officiel-prevention.com/formation/formation-continue-a-la-securite/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=139&dossid=519
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