Etienne Javouhey dirige les urgences et la réanimation pédiatriques de l’HFME à Bron. Passionné et discret, il améliore grâce à sa recherche les soins quotidiens à ses petits patients.
Pas facile de trouver les mots pour parler de l’accident et de la mort : leurs causes, leurs statistiques, leurs victimes. C’est plus difficile encore sans doute quand ces victimes sont des enfants. Le professeur Etienne Javouhey a le vocabulaire précis, sans éclat de voix ni fatalisme, de qui côtoie tous les jours cette réalité. Cet homme au timbre doux dirige depuis 2009 le service de réanimation pédiatrique de l’Hôpital Femme-Mère-Enfant de Bron (23 lits, 15 soignants) : “La pédiatrie, c’est peut-être plus fort émotionnellement que d’autres spécialités”, avance-t-il sobrement. “On apprend vite à se protéger.”
Soigner l’enfant, accompagner ses parents
Originaire de Dijon, le professeur Etienne Javouhey a suivi à Lyon son internat de pédiatrie et son doctorat en épidémiologie (2007). Sa thèse, réalisée à l’Ifsttar, porte sur les traumatismes et séquelles des enfants victimes d’insécurité routière : “Je voulais faire de la pédiatrie car le pédiatre est un peu le médecin généraliste de l’enfant et j’aime prendre en charge l’ensemble de la personne”, raconte-t-il. Les parents de ses petits patients lui demandent souvent s’il est lui-même père, “un peu pour tester mon empathie”. La réponse est oui (un garçon et une fille) et oui, évidemment, “on fait le parallèle avec ses propres enfants” face aux situations rencontrées.
La relation avec ces parents pris dans des émotions très fortes est au cœur de sa clinique : “Face à la maladie grave ou au décès de son enfant, les réactions vont de l’apathie à la colère, voire l’agressivité. Nous autres soignants avons parfois besoin de revenir sur des cas particulièrement difficiles ou conflictuels.” Cette “relation à trois” (patient, parents et soignants) est tout aussi centrale pour un autre aspect de son métier, le travail de recherche. Car Etienne Javouhey se revendique chercheur autant que soignant : “Je fais de la recherche depuis mes débuts, autant pour comprendre les pathologies que je rencontre que pour améliorer les traitements. ”
Pour tester un nouveau traitement, créer le dialogue
Le professeur Javouhey est investigateur principal pour une étude qui doit débuter en 2016 avec plusieurs centres hospitaliers en France, mais aussi en Belgique et en Suisse. Le but est de valider un nouveau traitement en cas de choc toxique dû à une infection par les streptocoque ou staphylocoque : les immunoglobulines, déjà utilisées pour soigner des maladies neurologiques ou neuroimmunes. Les chocs toxiques dûs au streptocoque ou au staphylocoque peuvent provoquer des défaillances des organes, entraînant la mort dans une proportion importante : jusqu’à 15% des cas pour l’infection streptococcique.
“On ne sait pas pourquoi la réponse de certains patients à ces bactéries se fait sous forme de choc”, note le professeur Javouey. “Ce que nous savons, c’est que l’immunoglobuline casse cette super-réaction et nous aimerions tester son efficacité dans le cas de ces “maladies à super antigènes”, ces chocs qui activent plein d’antigènes en même temps.” L’étude est en double aveugle et ni le patient ni les médecins ne savent si le traitement proposé sera le traitement classique ou l’immunoglobuline. La pharmacie de l’hôpital prépare les traitements avec un système de cache et conserve les données. Elles ne seront communiquées aux soignants qu’à la fin de l’étude. Le Comité de protection des personnes, la CNIL et l’Agence nationale de sécurité du médicament sont tous consultés avant la mise en oeuvre d’une telle étude, ainsi que leurs équivalents dans chacun des pays participant.
Faire profiter le patient des avancées de la recherche
La difficulté : convaincre les parents de prendre part à une étude alors qu’ils arrivent aux urgences avec leur enfant en état de choc, voire de coma… Ce consentement est délicat à obtenir. Les centres hospitaliers qui participeront à cette recherche mènent donc actuellement une étude préalable de faisabilité, pour évaluer s’il est possible de créer un tel dialogue en situation de crise : “Le traitement doit être administré dans les 12 heures suivant l’admission. Notre objectif est de faire le test sur 20 cas : comme ce type de choc toxique est rare, cela suffira pour nous rendre compte si l’étude est jouable ou pas”, précise le professeur Javouhey. Pour l’instant, huit cas ont été rencontrés dans l’ensemble des hôpitaux participant, et six consentements donnés par les parents. “Ici à Lyon, toutes les familles concernées ont dit oui”.
“La clinique et la recherche doivent travailler main dans la main”, plaide le Professeur Javouhey, “tout comme je travaille main dans la main avec le laboratoire Physiopathologie de l’immunodépression associée aux réponses inflammatoires systémiques qui mène en parallèle une étude pour comprendre pourquoi les immunoglobulines sont efficaces.” Être à la fois chercheur et clinicien offre donc à Etienne Javouhey de toujours penser la recherche en terme de faisabilité sur le terrain. “L’essentiel pour moi, c’est vraiment de faire profiter les malades des résultats de la recherche fondamentale.” Et les petits patients sont associés, à leur manière : dès 12 ans, ils sont amenés à signer un formulaire rédigé spécialement pour eux et validé par le Comité de protection des personnes. “On essaie de les rassurer, de répondre à leurs questions. C’est bien normal qu’ils aient leur mot à dire”, conclut le pédiatre.