Non. Et la question nous apprend plus de choses que la réponse.
Les femmes et les hommes réagissent-ils de la même manière aux médicaments ?
On aurait tendance à répondre non : les hommes et les femmes sont biologiquement différents, n’est-ce pas ? D’ailleurs on lit parfois que la médecine est sexiste, parce qu’elle ne prend pas en compte les différences femmes-hommes, notamment dans la recherche biomédicale et les essais cliniques.
Non ?
Sauf que. Pas si simple.
-
Pour commencer, de quoi on parle ?
Cet article présente les résultats d’une revue systématique et méta-analyse en pharmacologie (pour la lire, c’est par ici).
Une méta-analyse consiste à reprendre le maximum de données disponibles sur un sujet précis et à les combiner : comme on dispose d’un plus grand nombre de résultats, on peut faire une analyse plus précise et plus objective. Une méta-analyse permet de tirer une conclusion globale.
La méta-analyse dont nous parlons ici se concentre sur les effets de différents médicaments, utilisés pour traiter différentes maladies. Elle cherche à répondre à la question : y-a-t-il une différence entre les sexes dans la manière de réagir au traitement, une différence qui serait due uniquement à la différence de sexe ou de genre des personnes soignées ?
Ce n’est pas une étude sur la manière dont les hommes et les femmes sont pris en charge par les soignant.e.s, ou pour savoir si la maladie les frappe différemment en fonction du sexe. On parle ici uniquement de traitements et de leurs effets biologiques.
-
Sans surprise, pas de différence entre les sexes
“La conclusion de notre papier”, résume le Professeur Jean-Christophe Lega, qui a conduit cette méta-analyse avec des étudiant.e.s en master de pharmacologie de l’Université Claude Bernard Lyon 1, “c’est qu’on trouve parfois des différences d’effet liés au sexe… mais pas plus souvent que le hasard.”
Le Pr Lega et ses étudiant.e.s cherchaient à identifier un effet commun. Si on part du principe que les femmes et les hommes sont différents, on admet qu’ils sont différents quelle que soit la maladie, et quel que soit le traitement. La différence de réaction due au sexe devrait donc se manifester quel que soit le contexte.
“On dit souvent, par exemple, que les hommes sont moins observants, qu’ils suivent moins les recommandations du médecin. Il y a aussi la différence de poids. Il est dit également que la quantité de sang n’est pas la même, que la filtration par le rein du médicament n’est pas identique… Ces effets devraient être communs à tous les médicaments et toutes les maladies”, résume le Professeur Lega.
Sauf que non.
“Ce n’est pas franchement une surprise pour nous. Ça fait 50 ou 60 ans qu’on fait des essais contrôlés randomisés, la variable sexe est quasiment toujours testée, je pense qu’on le saurait s’il y avait une différence! En tant que médecin, on ne m’a jamais dit de ne pas donner un médicament de la même manière à une femme et un homme, sauf peut-être dans des cas très fortement liées aux hormones.”
-
Oui mais il y a des études qui montrent une différence, non ?
Oui.
Et c’est là que ça devient (encore plus) intéressant.
Quand vous lancez les dés, la probabilité de faire un 12 n’est pas très grande. Mais si vous lancez et relancez les dés, au bout d’un moment, vous tomberez sur 12.
“C’est exactement la même chose quand vous cherchez un effet du médicament différent en fonction du sexe”, observe le Pr Lega. “Une fois sur 20, vous allez trouver une différence. Mais ce sera dû au hasard…”
Une étude célèbre a bien illustré ce phénomène.
Il s’agissait de tester la thrombolyse (un médicament qui débouche les vaisseaux sanguins) dans le traitement de l’infarctus du myocarde. Les patients avaient été divisés en sous-groupe en fonction de leur signe astrologique. Conclusion : le traitement est particulièrement efficace pour les Capricorne, mais pas efficace du tout pour les Balance ou les Gémeaux.
Est-ce qu’on doit en conclure que la médecine devrait être personnalisée en fonction du zodiaque ?
Ou que face à ce genre de résultat, le premier réflexe devrait être de chercher à le valider avec une étude secondaire ?
-
Plus on cherche… plus on trouve
(Cette expression est empruntée à un article que vous trouverez dans la biblio en bas de page)
“Il ne faut pas chercher au hasard “, insiste le Pr Lega. “Si on cherche une différence entre les individus, il faut qu’il y ait un rationnel biologique à la base : par exemple un enzyme qui pourrait épurer différemment le médicament. ”
Bref, mouliner des données c’est bien, avoir une hypothèse de travail, c’est mieux.
“On parle beaucoup de médecine personnalisée, mais en pharmacologie on en est loin ! Et c’est parce qu’on n’a pas encore à notre disposition des descripteurs efficaces pour travailler les différences entre les individus. La variabilité biologique individuelle est telle que l’individu reste une boîte noire.
L’effet du médicament sur vous dépend de votre capacité à l’absorber, de votre capacité à l’éliminer, de la manière dont il agit sur certains récepteurs dont la réponse peut elle-même varier, de facteurs associés comme l’environnement, le comportement… Chercher sans hypothèse de départ sur des critères tout simples comme le sexe, ça ne produit que du bruit.”
Donc de la fausse connaissance.
-
La fausse connaissance, ou comment l’enfer est pavé de bonnes intentions
Finalement, que nous apprend (d’autre) cette méta-analyse ?
Que dans la recherche biomédicale, qui est basée sur les statistiques, tester une variable sans hypothèse de départ permet de dégager des associations entre à peu près n’importe quoi.
(Ce graphe, par exemple, établit un lien entre le nombre de noyades dans des piscines aux États-Unis, et le nombre de films avec Nicholas Cage.)
Source : Spurious Correlations
“On teste systématiquement la variable sexe parce que c’est une demande des autorités de régulation, parce que c’est une demande de la société, parce que ça ne coûte rien puisque vous l’avez forcément dans votre jeu de données… Et en faisant ça non seulement on produit du bruit statistique, mais en plus on a l’air de confirmer scientifiquement des a priori non scientifiques”, regrette le Pr Lega.
En cherchant à introduire davantage d’égalité entre les sexes dans la recherche biomédicale, on donc a en fait introduit un biais statistique… qui a l’air de montrer qu’une différence de réponse biologique existe bel et bien entre les sexes.
En attendant que des études comme celle-ci fassent évoluer les pratiques des chercheurs (qui pourraient choisir plutôt des variables économiques, sociales, environnementales…), la prochaine fois que vous entendrez qu’une différence entre deux groupes humains est “prouvée scientifiquement”… pensez à Nicholas Cage.
Références :
L’interaction du sexe et du genre dans les essais contrôlés randomisés : une approche méta-épidémiologique, D.Sen, L.Mathieu, R.Kilo, S.Jardel, F.Gueyffier, B.Kassai, M.Cucherat et J.C.Lega, Revue de médecine interne, Volume 39, Supplement 1, June 2018, Pages A118-A119,
Webographie :
Le blog Spurious Correlation
Multiplicité des tests statistiques au cours d’un essai clinique. Plus on cherche, plus on trouve, Médecine thérapeutique. 2007;13(4):293-297
Pour aller plus loin :
La lecture critique des essais cliniques, Michel Cucherat