Vous voulez publier vos résultats en toute sécurité? Apprenez à reconnaître les arnaques!
L’édition scientifique souffre depuis quelques années de bien plus inquiétant que le réchauffement climatique… ce nouveau mal, ce sont les revues prédatrices !
Peut-être avez-vous déjà eu l’occasion de voir arriver dans votre messagerie leurs invitations à soumettre un de vos articles qui sera publié “rapidement“, en “Open Access“, selon le modèle désormais bien connu de Gold Open Access Auteur-payeur, moyennant le paiement d’un Article Processing Charge (APC) “raisonnable” (entre 50 et 100 dollars). Ces invitations sont tellement nombreuses et récurrentes qu’elles méritent désormais la désignation de SPAM.
Ce phénomène apparu au début des années 2000 est devenu l’une des sept plaies de l’édition scientifique en transition vers l’Open Access. Décrié dès son apparition et décrypté par de nombreuses études (Cobey, 2018), le phénomène des revues prédatrices se développe. Et elles miment de mieux en mieux les vraies revues…
Nous, petite équipe de jeunes étudiants de la Licence pro DIST (Données et Information Scientifique et Technique), solidement outillés de connaissances du milieu de l’édition scientifique numérique et de compétences méthodologiques, avons joué les Sherlock Holmes pour dresser le portrait-robot de l’éditeur prédateur type.
Nous avons passé au crible un corpus d’une petite centaine d’emails – ou SPAMs si vous préférez ! – envoyés à une enseignante-chercheuse de notre université, Lyon 1, pour l’inviter à publier ses articles. Et nous avons pu dessiner un portrait-robot de la revue prédatrice-type, dont nous allons vous donner en exclusivité les caractéristiques.
Une pandémie globalisée
Pour en prendre la mesure, il faut retenir le chiffre de 12.000 revues prédatrices recensées dans le monde, essentiellement dans les anciennes colonies britanniques. D’après une récente estimation, le manque à gagner des publications dans des revues prédatrices est de 50 millions de dollars pour le seul éditeur Omics International Hyderabad.
Il ne faut donc pas s’étonner que le vocabulaire utilisé pour qualifier le phénomène évoque la criminalité organisée: escroquerie, banditisme, fake, prédation, vampirisme, fraude, arnaque, machiavélisme.
Tous ces adjectifs illustrent le drame du chercheur qui, pensant publier son article dans une revue ayant pignon sur rue (internationale, pratiquant l’évaluation par les pairs ou peer-reviewing pour utiliser un anglicisme, indexée dans des bases de données de référence), se retrouve à débourser des fonds recherche pour la “mise en ligne” de son papier, sans aucune forme d’évaluation ou de valeur ajoutée apportée par la revue. Certaines victimes diront qu’ “il n’y a même pas de correction orthographique“!
Le dommage collatéral est que la science ainsi diffusée n’est pas vérifiée, validée. Et ainsi circulent sur le Web une quantité considérable d’articles présentant des résultats sans aucune forme de validation. Dans le domaine de la santé, le phénomène est régulièrement pointé par des études sectorielles qui montrent l’étendue du problème.
Outre le préjudice scientifique et financier, il y a aussi le préjudice symbolique: le papier ainsi diffusé ne peut prétendre au statut d’une publication, pas plus qu’il ne peut faire l’objet d’une nouvelle soumission chez une vraie revue qui refusera de le publier s’il est déjà “paru” ailleurs, et a fortiori dans une revue qui sent le soufre. L’article est donc le plus souvent perdu et la victime, lorsqu’elle réalise l’arnaque, n’en est pas fière et préfère généralement passer l’épisode sous silence…
La faute au “Publish or Perish”
Si on compte autant de revues, autant d’articles et donc autant de victimes, c’est parce que la publication est devenue l’obsession du chercheur dont le travail est évalué à l’aune des articles parus dans des revues indexées, et donc le plus souvent internationales.
Que ce soit en Europe ou dans les pays émergents, l’évaluation de la recherche repose désormais essentiellement – pour ne pas dire exclusivement – sur la liste des publications du chercheur. Toutes les autres activités (enseignement, tâches administratives, diffusion des savoirs vers la société, …) ne représentent que peau de chagrin sur son CV et pour l’avancement de sa carrière.
Publier dans une revue légitime est un processus difficile, long et jalonné d’incertitudes. Les témoignages des chercheurs (Chambers, 2019) permettent de comprendre que face à la pression à la publication, ils peuvent basculer vers le côté obscur pour de bonnes ou moins bonnes raisons.
Les victimes des revues ne sont plus seulement de jeunes chercheurs, ignorants et inexpérimentés; ce sont également des chercheurs seniors, et donc publiant dans ces revues soit en toute conscience, soit à “l’insu de leur plein gré”. Même les médias (Kolata, 2017) se sont emparés du sujet pour aborder l’ambiguïté des chercheurs qui se retrouvent “auteurs” dans ces revues. Pour ce cas, on parle d’Omerta, de publication à compte d’auteur, voire de fraude (2014).
Le virus a muté
C’est que le virus a muté et qu’il n’y a plus d’un côté les revues officielles et légitimes et de l’autre les revues prédatrices. Il existe désormais une zone grise que représentent des revues qui ressemblent de plus en plus à de vraies revues. Elles miment les revues du haut des Ranking (classement) des revues internationales, emploient les mêmes arguments dans leur rhétorique, promettent la même visibilité et la même reconnaissance pour le travail des chercheurs…et fatalement, harponnent plus facilement les victimes.
Et pour cause: Google Scholar (moteur de recherche académique) et ResearchGate (réseau social académique) sont les complices de cette mutation car ils indexent respectivement et accueillent les articles “publiés” dans des revues prédatrices, leur donnant ainsi une visibilité, facilitant leur diffusion sur le Web et donc leur consultation. Et dès lors que les plus futées de ces revues équipent leurs articles d’un DOI (Digital Object Identifier), un standard international, alors la pandémie n’est pas loin.
Y a-t-il une liste dans l’avion ?
Des listes recensant des revues prédatrices (ou même suspectées de l’être) ont été établies. La plus célèbre d’entre elles, tenue et mise à jour bénévolement par un bibliothécaire, Jeffrey Beall, pendant plusieurs années a fait polémique à cause de sa démarche dite stigmatisante. Menacé par un procès en diffamation de la part d’un éditeur qui ne se considérait pas comme prédateur, le propriétaire de la liste a fini par la retirer.
Aujourd’hui les listes de revues prédatrices fleurissent car la chasse aux sorcières devient difficile avec des titres qui ressemblent à s’y méprendre à de vraies revues. Certaines listes noires, comme la liste Cabell, proposent désormais un accès payant sur l’argument d’une veille et d’une mise à jour régulière. Le marché noir de la contrefaçon des revues s’accompagne désormais d’un marché officiel des listes noires des revues … la boucle est bouclée!
Portrait-Robot de la revue prédatrice nouvelle génération
- Internationale : la revue prédatrice se qualifie forcément d’internationale car elle vise à puiser dans le vivier le plus large possible pour y jeter ses filets. Mais elle cache soigneusement son adresse qui est le plus souvent en Europe de l’Est, en Chine ou en Inde. Cela n’exclut pas le fait que des revues prédatrices puissent être localisées au Royaume-Uni, au Portugal ou en Belgique. Anglophone, quasi-systématiquement, la revue prédatrice commence à être rattrapée par la concurrence chinoise qui publie en mandarin.
- Interdisciplinaire : la revue prédatrice est toujours pluridisciplinaire; tellement pluridisciplinaire que la ligne éditoriale s’étend à “tous domaines, toute recherche“. En somme, tout ce que vous pourrez envoyer et qui ressemble de près ou de loin à un article est le bienvenu … La preuve, c’est qu’elle peut vous solliciter pour des articles en biologie alors que vous êtes historien de l’art!
- Des “stars” dans les comités éditoriaux et scientifiques de la revue: un rapide coup d’œil dans le comité éditorial devrait vous alerter car soit ce sont des chercheurs venant tous d’un seul et unique pays (Ukraine, Inde, Pakistan), soit certains noms vous disent quelque chose mais rien de très rassurant (ex. Monica Lewinski !). A côté de ça, pensez bien à vous googliser, car vous pourriez très bien trouver votre nom dans la liste du comité éditorial de la revue; ils ne demandent pas forcément votre avis!
- Sites Web : les revues prédatrices ne disposent pas de plateformes (gérant les contenus, les services, le workflow etc. comme dans le cas des vraies revues), mais des sites Web, et de type 1.0 le plus souvent! Et alors que les soumissions d’articles à des revues légitimes sont désormais réalisées via des plateformes sophistiquées (qui transforment parfois la soumission de l’article en expérience cauchemardesque) la soumission à la revue prédatrice se fait par mail, à l’ancienne…. Autant dire qu’il ne faut pas rêver trouver une API …
- Open Access mon amour : la revue prédatrice emprunte forcément la rhétorique Open Access, mais surtout pour parler des APC. Les licences employées ou les conditions de copyright ne sont pas abordées, exposées, détaillées… l’Open Access a bon dos. A ce sujet, elles emploient un langage “persuasif”, entre prosélytisme et matraquage Open Access.
- Buzz l’éclair : la revue prédatrice sait appuyer là où ça fait mal: elle promet une évaluation et une publication rapides. Le fast publication associé à un low cost est la formule magique et incantatoire pour délivrer le chercheur du sort du “Publish or Perish”. Des chercheurs témoignent du fait que l’article est pari 24h après soumission…
- Indexation : la revue prédatrice affiche un pedigree d’indexation impressionnant, avec la ritournelle bien rodée qui l’accompagne. De Google Scholar à Web of Science en passant par WorldCat, tout y passe. Seul hic, on ne la retrouve pas toujours dans lesdites bases de données. Certaines vont jusqu’à afficher des facteur d’impact fictifs… C’est comme le tacos du quartier affichait 3 étoiles au Michelin.
- Prix de l’APC : le revue prédatrice nouvelle génération tarifie un peu plus cher que la moyenne des 100 $ des revues prédatrices basiques; plus professionnelle, faisant de réels efforts pour coller aux standards internationaux, elle n’hésite pas à réclamer plus. Cela peut aller jusqu’à 500 $.
En résumé
Les revues prédatrices se professionnalisent et font de plus en plus d’efforts pour ressembler à de vraies revues, à tel point que certaines ont fini par le devenir. Leurs techniques s’affinent et elles deviennent de plus en plus crédibles.
Etre vigilant.e et vérifier via des outils comme ThinkCheckSubmit si le choix de titre que vous faites pour soumettre votre article est le bon reste la meilleure option pour rester loin des lieux risqués.
Faire appel aux spécialistes de l’information scientifique (bibliothécaires, documentalistes) est également une option à utiliser sans modération.
Bonne chance et gardez l’œil ouvert !
J’aurais bien aimé avoir la liste de ces revues prédatrices;
est ce que la revue ( international journal of sport science& medecine )(IJSSM) est une revue prédatrice ?