Technologie au cœur de bitcoin, la blockchain promet une révolution comparable à celle d’Internet. Elle reste pourtant encore pour beaucoup un objet difficile d’accès. Éclairage avec Parisa Ghodous, professeure au département d’informatique de l’Université Lyon 1 et chercheuse au laboratoire LIRIS.
La blockchain est avant tout une technologie de stockage et de partage d’informations. On pourrait la comparer à un grand livre de comptes, mais d’un genre particulier : il serait public, partagé, infalsifiable et indestructible.
Grâce à ces propriétés, beaucoup voient dans la technologie blockchain le potentiel de transformer en profondeur le domaine du numérique. « C’est une technologie de rupture dans la lignée d’internet qui arrivera encore plus rapidement dans sa phase d’adoption » anticipe Parisa Ghodous, enseignante-chercheuse au Laboratoire d’InfoRmatique en Image et Systèmes d’information (LIRIS).
Le web a constitué une révolution dans le domaine de l’échange d’informations de pair à pair. Toutefois, ce système rencontre quelques limites dès que l’information possède une valeur. Lorsque l’on envoie un message à quelqu’un via internet, le système duplique cette information, la rendant accessible à votre destinataire et vous-même. Or, cela ne peut pas s’appliquer à un certain nombre de transactions – au sens d’opération informatique -, notamment lorsqu’intervient un échange d’argent. C’est pourquoi nous avons recours à des intermédiaires ou tiers de confiance.
C’est là que la blockchain s’inscrit dans la continuité d’internet, avec l’instauration d’un système de pair à pair sans intermédiaire tout en garantissant la fiabilité des données échangées.
Une technologie pour renforcer la confiance
Cette technologie présente donc un énorme potentiel d’application dès qu’il est nécessaire d’avoir un système de confiance. Or, à l’ère du numérique « tout le monde a besoin d’avoir confiance dans les données que l’on s’échange » abonde Parisa Ghodous.
Comment s’assurer qu’un diplôme n’est pas falsifié ? Prouver qu’une maison vous appartient bel et bien ? Que votre acheteur vous a versé le montant convenu pour la vente d’un bien, ou encore garantir et l’accès sécurisé à des données sensibles de patients ? Traditionnellement nous plaçons cette assurance dans des institutions centralisées (publiques ou privées) dites de « confiance », mais qui ne sont exemptes d’erreurs, de lourdeurs administratives qui peuvent s’accompagner de frais supplémentaires ; de conflits d’intérêt voire de corruption dans le pire des cas.
En 2009, la première implémentation de la blockchain par la personnalité anonyme Satoshi Nakamoto, le créateur du bitcoin, bouleverse ce paradigme. Il crée la première crypto-monnaie fonctionnant sans intermédiaire. Mais si la blockchain est intimement liée au développement du bitcoin, cette suppression des intermédiaires ouvre d’autres perspectives. Notamment avec le développement des contrats intelligents, ou smart contract que l’on trouve dans les blockchains de seconde génération (comme Ethereum).
Ces contrats informatiques sont programmés pour s’exécuter automatiquement sous des termes et conditions pré-établis et encodés dans la blockchain.
Prenons l’exemple d’un titre de transport. Lors de l’achat d’un ticket, un contrat intelligent créé entre la SNCF et le client proposerait l’indemnisation automatique de l’utilisateur si un imprévu arrive durant le voyage. Alimenté directement par les données du trafic, le contrat intelligent déclencherait automatiquement un remboursement en cas de retard, sans l’intervention d’une tierce personne et sans démarche du client.
Cette automatisation sécurisée de transactions permet d’envisager énormément d’autres utilisations dans des domaines tels que :
- la santé avec le transfert sécurisé de données sensibles de patients
- l’énergie
- La finance
- la reconnaissance de la propriété de tout type de biens
- l’économie de particulier à particulier
- l’agroalimentaire avec le traçage de produits dans l’alimentation.
- …
Autant d’applications rendues possibles grâce à la confiance dans les données que garantie la blockchain. Ce qui rend ce système aussi fiable, c’est notamment son mode de validation des données qui s’appuie sur la communauté.
Un système de validation par la communauté
La blockchain est ce qu’on appelle une base de données distribuées. Contrairement à un système où les données sont stockées dans un seul endroit – base de données centralisées – , ici les données sont stockées et disponibles sur plusieurs systèmes simultanément. Les données ne sont pas la propriété d’une entité centrale, mais dupliquées au sein d’une communauté d’utilisateurs.
Elles sont accessibles par chaque utilisateur – qu’on appelle un nœud -, mais ne sont modifiables que sous certaines conditions. Ce partage de données identiques, ainsi qu’un certain nombre de règles permettent de se passer d’un organe central de contrôle, ou d’un tiers de confiance. Ces règles assurant la fiabilité du système sont caractérisées par :
- Phase d’enrôlement : pour participer à la blockchain, chaque utilisateur reçoit un numéro d’identification par un procédé cryptographique
- Toutes les transactions sont émises par des nœuds et sont regroupées dans des blocs.
- L’ajout d’une nouvelle information entraîne la validation d’un bloc par la résolution d’un problème mathématique complexe appelé une preuve de travail. La solution doit être validée par tous les nœuds. C’est ce qu’on appelle le processus de consensus.
Par ce processus de validation et de scellage, on crée une chaîne de blocs permettant de retracer l’ensemble des transactions effectuées dont l’authenticité est certifiée par la communauté.
Les données une fois stockées dans un bloc scellé ne peuvent plus être ni effacées, ni modifiées. C’est ainsi que la blockchain constitue un registre à la fois ouvert, partagé, infalsifiable et indestructible.
Une technologie émergente en phase d’appropriation
Cette technologie s’appuie donc sur des algorithmes pour proposer un système impossible à falsifier ou détourner en l’état actuel. Cependant, la blockchain fait appel à des concepts informatiques complexes, peu accessibles au premier abord, qui lui confèrent les allures de boîte noire. Or, si la blockchain offre une plus grande fiabilité, il ne s’agit pas de faire reposer la confiance sur la seule technologie, car cette révolution ne va pas sans soulever certaines interrogations.
Avec un système partagé et ouvert sans tiers de confiance, qu’en est-il des tiers de confiances juridiques ? Du droit à la vie privée, à la concurrence ou à la propriété intellectuelle ? Comment structurer l’utilisation des cryptomonnaies dans l’économie et la finance – l’anonymat des acteurs pose problème par exemple dans le cadre des levées de fonds – ?
Pour Parisa Ghodous, il est indispensable que les différents acteurs amenés à se mobiliser et s’emparer des questions liées à la blockchain puissent s’approprier cette technologie.
Une formation sur la blockchain encore à structurer
Or, aucune formation n’est encore structurée en France autour de la blockchain. Un manque que souhaite pallier cette enseignante-chercheuse dans le cadre du projet CHAISE qu’elle coordonne à l’Université Claude Bernard Lyon 1. L’objectif : rassembler les différents acteurs de la blockchain dans un triptyque scientifiques – décideurs – utilisateurs et les faire dialoguer ensemble afin d’identifier les futures compétences à développer autour de la blockchain.
Le projet CHASIE entend doter « les professionnels des [technologies de l’information et de la communication] TIC au niveau européen des connaissances et compétences numériques nécessaires pour comprendre, travailler et gérer des projets de blockchain ».
Cela doit permettre aux futurs acteurs de la blockchain d’apprécier les enjeux liés au déploiement de cette technologie, que ce soit dans le domaine du droit, de la gouvernance, de la finance, mais aussi en tenant compte des aspects environnementaux liés à son usage. En effet, le caractère inaltérable des données conjugué à la promesse d’une émergence dans tous les secteurs de la société constitue une empreinte numérique invisible loin d’être neutre et promise à s’étendre.
A ce titre, l’informatique verte constitue l’une des thématiques de recherche liée à la blockchain dans lequel s’inscrit également le projet CHAISE. « Ce problème existe pour toute technologie en informatique, numérique ou autre et nous avons besoin des étudiants pour répondre à cette problématique énergétique » ponctue Parisa Ghodous. Et d’ajouter que la blockchain « reste avant tout un outil ».
A l’heure de la transformation numérique de nos sociétés, il convient donc également de réfléchir aux usages de la technologie, au regard des enjeux sociétaux auxquels nous faisons face, en particulier environnementaux.
Un article co-écrit avec Parisa Ghodous
Parisa GHODOUS, Professeure au département informatique de l’Université Claude Bernard Lyon 1. Elle dirige des activités de recherche au sein de l’équipe SOC du laboratoire LIRIS UMR 5205 pour la résolution des problèmes d’interopérabilité et le passage à l’échelle des applications et des plateformes blockchain. Elle est également coordinatrice du projet Erasmus + CHAISE et auparavant du projet BLISS.
Le projet CHAISE vise à développer une nouvelle stratégie de développement de compétences dans le domaine de la blockchain. Le consortium du projet est composé de 28 partenaires, les leaders européens et mondiaux de la blockchain, partenaires académiques, industriels et organisations sectorielles, principaux acteurs de l’innovation dans le domaine de la blockchain. Quinze pays européens sont représentés.
Le projet BLISS a été sélectionné par l’Agence Erasmus+ France comme un exemple de « bonne pratique », pour la qualité générale de sa mise en œuvre et ses résultats acquis définis de haute qualité. Dans le cadre de ce projet un MOOC sur les technologies de blockchain a été développé en 7 langues.
Ressources complémentaires
TEDxLyon (Youtube)- La Blockchain: réinventer les rapports de confiance et Blockchain et crypto-monnaies : une nouvelle ère économique ?
Dossier – Les blockchains, clefs d’un nouveau monde par Jean-Paul Delahaye.
Journal CNRS – l’autre révolution venue du bitcoin
The conversation – Le bitcoin et la blockchain : des gouffres énergétiques
En savoir plus sur le Laboratoire d’InfoRmatique en Image et Systèmes d’information (LIRIS – Université Claude Bernard Lyon 1/CNRS/INSA Lyon).