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Les sciences participatives, des avantages durables

Suivi hebdomadaire de la production et de la longévité des feuilles de plantes aquatiques
© Eric le Roux

Sciences en anthropocène | Sensibiliser les citoyens à la biodiversité en les impliquant dans des projets scientifiques, c’est l’un des enjeux des sciences participatives. Mais à conditions d’être bien menées, ce qui s’avère parfois difficile sur le long terme.

« Les grands défis contemporains que sont le réchauffement climatique ou la perte en biodiversité suscitent et justifient encore davantage l’implication citoyenne » - Florence Millerand, 2021

Aujourd’hui, chacun et chacune peut s’investir dans un projet de recherche qui lui tient à cœur. Élever un blob à la maison ou de recenser les papillons de votre propre jardin. S’impliquer dans le processus de production scientifique en tant que citoyen, acteur de la société civile, scientifique amateur, c’est ce que proposent les sciences participatives à travers différents dispositifs. un mouvement en plein essor. C’est une relation vertueuse qui semble se créer, liant chercheurs, citoyens…et environnement. Ce dernier secteur est en effet particulièrement prisé des sciences participatives. À l’aube d’une sixième extinction de masse, les citoyens se mobilisent pour la conservation de la nature. Économiques, sociales et bénéfiques pour l’environnement, les sciences citoyennes semblent être la parfaite application du développement durable. Mais peuvent-elles rendre la société actrice dans la création de connaissances et protectrice de la biodiversité à moindre coût ?

 

Vive la biodiv’

La biodiversité est un sujet très apprécié de la population française. L’implication civile dans ce domaine permet notamment la production de données, d’outils de sensibilisation et d’éducation, mais aussi de former et réunir une communauté autour d’enjeux communs. Les citoyens représentent alors une ressource très intéressante (et bénévole !) pour les scientifiques qui souhaitent étudier l’état de la biodiversité, la présence d’espèces exotiques envahissantes ou encore la répartition des espèces sur le territoire. Une ressource citoyenne d’autant plus intéressante qu’en environnement, et notamment en biodiversité, la collecte de données est essentielle pour le suivi d’une population d’espèces animales ou végétales.

2020 fut par exemple une année fructueuse pour les sciences participatives. Confinés chez eux, les français ont eu le temps d’observer la nature et de transmettre les données collectées aux scientifiques. L’Observatoire National de la Biodiversité a enregistré une augmentation de la participation citoyenne de 26% comparé à l’année précédente, soit plus de 135 000 participants autour de sujets liés à la biodiversité. En effet, suite à l’émergence d’enjeux majeurs de protection de la biodiversité, les citoyens se sont massivement engagés dans les projets participatifs liés à ce domaine. La population souhaite non seulement s’impliquer pour faire avancer la recherche, mais également acquérir des connaissances via cet exercice.

 

Le numérique, un nouvel outil pour les sciences participatives

Le développement du numérique apporte une toute nouvelle dimension aux sciences participatives. Simplifiant certaines démarches, il donne une plus ample visibilité aux projets, accessibles par tout-un-chacun en ligne. Les sites web sont une immense ressource, plus encore lorsqu’ils sont couplés à des applications qui permettent à la fois de donner les informations nécessaires au bon déroulement du projet, ainsi qu’à récupérer les données obtenues sur le terrain par les participants.

Par ailleurs, des dispositifs démocratisent la reconnaissance par intelligence artificielle de certaines espèces, comme par exemple d’insectes pollinisateurs dans le projet SPIPOLL, une initiative commandée par le Ministère chargé des transports. Le simple appareil photo de nos smartphones devient un outil de recherche. Le numérique a « inversé le rapport de force » entre les contributeurs et le corps scientifique selon Juliette Loiseau. En effet, les choix réalisés sur le terrain par les participants impactent l’orientation de la recherche.

Et ce ne sont pas quelques dizaines de résultats qui sont rapportés, car à l’ère du numérique, le nombre d’apports recensés sur certaines plateformes peut atteindre des pics phénoménaux. Ainsi, sur une semaine d’Avril 2020, ce sont 5 millions d’observations qui ont été enregistrées par plus de 200 000 participants sur Zooniverse, une plateforme américaine en ligne proposant de nombreux projets de recherche participatif dans des domaines variées. Le numérique se place donc comme une force du XXIème siècle qui permet le déploiement des sciences participatives.

 

Des avantages durables

Les sciences participatives redéfinissent les relations entre science et société. La participation citoyenne permet d’ancrer des problématiques reconnues pour leur utilité sociétale. Elles contribuent à rapprocher la science et la société dans un but de démocratisation de la connaissance, favorable au progrès social (Millerand, 2021).

On identifie parmi les sciences citoyennes des bénéfices indiscutables en termes de production de connaissances. En faisant appel à la participation bénévole des citoyens, la sphère scientifique mobilise une ressource lui permettant un gain de temps et d’argent considérable et bienvenue pour des chercheurs qui souffrent bien souvent de ces deux contraintes. Avoir recours à beaucoup d’observateurs, réparti dans l’espace et le temps, représente également une certaine ubiquité dans la collecte des données. Avoir des yeux et des oreilles partout et à toute heure optimise grandement ce processus, parfois fastidieux pour de petites équipes de chercheurs.

En sciences de l’environnement notamment, l’engagement volontaire du citoyen à participer à la collecte de données est indispensable à certains projets de recherche traitant de la biodiversité ou du réchauffement climatique (Leriche, 2012). Le programme Vigie-Nature instauré par le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris est un exemple particulièrement édifiant. Ce projet vise à décrire les réponses de la biodiversité face aux changements anthropiques (liés à l’Homme) à l’échelle de la France. Ainsi les citoyens fournissent aux chercheurs une base de données monumentale. Un inventaire proche de l’exhaustivité recensant les espèces animales et végétales à travers tout le territoire français, permettant aux chercheurs d’observer l’évolution des populations selon le dérèglement climatiques, l’anthropisation du territoire… Une action qui a un impact réel puisque cette étude permet aux chercheurs de penser, évaluer et de promouvoir les actions à mettre en place en termes de conservation des espèces.

Au-delà des objectifs environnementaux, le projet Vigie-Nature à des visées politiques. Il permet de rendre publique la crise que connaît la biodiversité en faisant participer le grand public à la recherche, puis en publiant et communiquant sur celle-ci. Les résultats de l’étude fournissant des indicateurs et des scénarios d’évolution de la biodiversité, le protocole Vigie-Nature propose de (ré)adapter les politiques de gestion de la biodiversité.

 

Oui mais…

« dans beaucoup de cas les citoyens sont relégués au statut de simples fournisseurs ou exécutant, s’inscrivant dans un modèle déséquilibré dans lequel la connaissance est détenue par les chercheurs tandis que les citoyens fournissent uniquement la main d'œuvre »

Si les sciences participatives bénéficient de l’adhésion de la communauté scientifique, elles font néanmoins l’objet de nombreux questionnements, notamment quant à la validité de ces nouvelles formes de productions de savoirs et à l’évolution des relations entre « profanes » et scientifiques (Millerand, 2021). En effet, dans beaucoup de cas les citoyens sont relégués au statut de simples fournisseurs ou exécutant, s’inscrivant dans un modèle déséquilibré dans lequel la connaissance est détenue par les chercheurs tandis que les citoyens fournissent uniquement la main d’œuvre (Millerand, 2021).

De plus, si les citoyens font preuve de volonté, celle-ci n’est pas forcément constante dans le temps, ce qui pose problème pour les longues campagnes de collecte de données.  De même, les données collectées par le grand public peuvent être difficiles à interpréter du fait de leur hétérogénéité et des biais commis par les collecteurs. La majorité n’ayant pas de formation scientifique, ceux-ci n’ont donc pas conscience de certains biais qu’ils pourraient commettre. Ainsi, la participation citoyenne ne peut se faire sans un encadrement strict pour le bon déroulé des recherches, sans quoi tout ou partie des résultats se révèle caduque. L’inclusion de la société dans la recherche ne doit pas pour autant permettre une baisse de qualité dans la collecte des données.

 

Une démarche collaborative dans une démarche de développement durable

La crise climatique et la détérioration des écosystèmes suscitent d’autant plus la participation citoyenne. Ce genre de projets collaboratifs forment les participants au déclin de la biodiversité et les impliquent dans la préservation de la nature. Par ce processus, ils accèdent à de nouvelles connaissances tout en faisant progresser les avancées scientifiques dans le domaine environnemental, à moindre coût qui plus est.

Démocratisant ces projets, le numérique permet une multitude d’applications de cet essor, même si elles nécessitent un minimum de formation à ces nouveaux outils. Les sciences citoyennes apparaissent comme une solution pour répondre aux problématiques de développement durable à l’ère de l’Anthropocène. Elles mettent en scène les acteurs de la société en agissant pour l’environnement et répondent à certaines contraintes économiques de la recherche. Toutefois, pour remplir cette objectif, les sciences participatives demandent un engagement du chercheur, qui dans le contexte actuel de la recherche n’est pas toujours simple à tenir.

Bibliographie :

« Du citoyen à la recherche scientifique ». s. d. Vigie-Nature. https://www.vigienature.fr/fr/programme-vigie-nature-2877.

« Évolution de l’implication des citoyens dans les sciences participatives liées à la biodiversité ». s. d. Observatoire Nationale de la Biodiversité. Consulté le 15 mars 2022. http://naturefrance.fr/indicateurs/evolution-de-limplication-des-citoyens-dans-les-sciences-participatives-liees-la.

Houllier, François, et Jean-Baptiste Merilhou-Goudard. 2016. « Les sciences participatives en France ». Les sciences participatives en France. Ministère de la Culture. https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Enseignement-superieur-et-Recherche/La-culture-scientifique-et-technique/Les-sciences-participatives-en-France.

Leriche Hélène. (2012). Les interfaces entre la communauté scientifique et la société civile. ESKA. https://www.cairn.info/revue-responsabilite-et-environnement1-2012-4-page-87.htm

Loiseau, Juliette. 2021. ‘Les sciences participatives : le numérique au service de la science’. L’Observatoire (blog). 5 February 2021. 

Michalon, J. (2017). Léo Coutellec La science au pluriel. Essai d’épistémologie pour des sciences impliquées. Histoire de la recherche contemporaine. La revue du Comité pour l’histoire du CNRS, Tome VI-N°2, 209–214.

Millerand, F. (2021). La participation citoyenne dans les sciences participatives: Formes et figures d’engagement. Études de Communication, 56, 21–38. https://doi.org/10.4000/edc.11360

« Nombre de participants aux sciences participatives dans le domaine de la biodiversité Axe 6 : orienter la production de connaissances, la recherche et l’innovation vers la transition écologique – ». 2018. Ministère de la Transition Écologique et Solidaire. http://www.donnees.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lesessentiels/indicateurs/a603.html.

Sauermann, Henry, et Chiara Franzoni. 2015. « Crowd science user contribution patterns and their implications ». Proceedings of the National Academy of Sciences 112 (3): 679‑84. https://doi.org/10.1073/pnas.1408907112

Un article écrit par Epha Bigeard, Margot Chevalier, Léo Raimbault et Julie Rozon du Master Information et médiation scientifique et technique de l’Université Lyon 1.

Sciences en anthropocène

Une série de podcasts réalisée par des étudiants du Master information et médiation scientifique et technique de l’Université Lyon 1 pour Sciences pour tous