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Décloisonner les sciences en milieu carcéral

Retour d’expérience d’Arnaud Poittevin, doctorant à l’Institut des Nanotechnologies de Lyon, qui a animé son premier atelier scientifique à la maison d’arrêt de Valence. Une première expérience de médiation scientifique originale réalisée avec l’association Egalité des sciences.

 

« Parler de sciences avec des publics dont nous parlons peu », c’est l’action qu’a réalisée Arnaud Poittevin avec Égalité des sciences. Cette association grenobloise organise depuis plusieurs années des ateliers de médiation scientifique en milieu carcéral. En thèse à l’INL depuis seulement quelques mois, il découvre leurs actions réalisées en partenariat avec le CNRS lors de la réunion de début d’année de l’institut. Il se rappelle avoir rapidement été séduit. « Je trouvais l’idée originale. J’aimais bien cette idée de décloisonner certains milieux. Ne pas simplement se dire que les gens en prison n’auront pas ou peu d’intérêt pour les sciences ». L’association lui propose alors de réaliser un atelier auprès des détenus sur un sujet scientifique de son choix.

Ingénieur formé à l’école centrale de Lyon, il décide de s’orienter en thèse dans le domaine de l’électronique. « C’est un peu en opposition avec ce que j’ai fait jusqu’à maintenant » explique-t-il avec amusement. « J’ai une formation très généraliste, ce qui permet d’avoir une vision globale des choses. En thèse je suis plutôt dans l’approfondissement d’un sujet très précis ». Spécialisé dans la conception de cellules logiques économes en énergie, il décide pour son animation de laisser de côté ces recherches. Il parlera avec les détenus d’un objet électronique que tout le monde connaît : le smartphone.

 

La face cachée des smartphones

Comment fonctionne un smartphone ? Comment sont-ils fabriqués ? Avec quel impact ? Arnaud Poittevin veut aborder avec son public ce qui se cache derrière ces écrans noirs. Il présente l’architecture d’un smartphone à partir d’un parallèle avec le corps humain. Par exemple, le processeur ou microcontrôleur est associé au cerveau, orchestrant le transfert de données vers les différents organes (le micro, la caméra, l’écran tactile…) L’objectif : « démystifier le domaine de l’électronique en se ramenant à des blocs dont la structure reste assez simple » explique-t-il.

Deuxième sujet : l’impact écologique « trop peu visible » des smartphones. Il introduit les « cartes de ressources » (source map en anglais), pointant notamment la question des terres rares. Le doctorant perçoit un réel intérêt du public. « Ils avaient des réflexions très intéressantes, et posaient beaucoup de questions. Pour certains les liens entre environnement, questions géopolitiques et la technologie n’étaient pas évident. Mais ils ont conscience des problèmes qui se posent dans le monde. Ces gens ne restent pas enfermés dans leur bulle » affirme-t-il.

Pendant son atelier, pas de micro-électronique ou d’expérience. Contraint par le lieu, Arnaud Poittevin anime les sessions à l’aide de simples supports papiers imprimés. En effet, l’administration pénitencière ne l’autorise pas à présenter un téléphone démontable aux détenus. Il s’adapte alors en laissant une place prépondérante à l’échange et la discussion. « Finalement, je pense que c’était le bon choix. Plutôt que de se lancer dans des expériences ou des démonstrations dans un atelier 30 minutes, nous avons eu le temps de débattre ensemble ». 

La sourcemap ou carte des ressources
Les cartes des ressources, ou sourcemap, sont une base de données collaborative développée au Média Lab du MIT (Boston, Etats-Unis). L’objectif est de pouvoir visualiser sur une carte du monde l’ensemble des pays concernés par la production d’un bien. Chacun peut contribuer à répertorier ainsi l’histoire d’un produit. Ces cartes des ressources permettent notamment de donner un aperçu de l’impact écologique de la production d’un bien.

Pour en savoir plus : https://www.sourcemap.com

Exemple de sourcemap pour le produit de pâte à tartiner Nutella

 

La médiation : une posture d’ouverture

Lorsqu’il aborde le sujet de l’impact écologique de la production de smartphones, son public réagit vivement. La question de l’exploitation des terres rares, sur laquelle repose la fabrication des téléphones portables est au cœur des débats. Le doctorant s’appuie sur les cartes des ressources pour aborder différents types d’engagement des fabricants de smartphones dans l’exploitation de ces ressources. « Il faut être très au courant que certains vont rester très sceptiques face à nos discours. J’ai aussi parfois été confronté à des arguments complotistes » se rappelle-t-il.

L’intervention d’une quelconque institution, ou autorité légale dans la gestion des conditions d’extraction de ces ressources reste fortement critiquée. Une position que le doctorant accepte. « Je pense que c’est normal d’être sceptiques. Il y a aussi un rapport particulier à l’institution chez ces publics. Il faut en tenir compte. Mais derrière il y avait un réel intérêt de leur part. Les avis étaient partagés, mais à un certain point, ils entendent le point de vue de l’autre ».

Finalement l’animation de son atelier scientifique a tenu avant tout à sa posture en tant que médiateur scientifique, à la manière de s’adresser à son public pour parler de sciences. Rester ouvert aux différents points de vue : un élément essentiel pour Arnaud Poittevin.

 

La thèse : un besoin d’échanger 

Baser sa réflexion sur l’échange, c’est aussi une démarche que ce doctorant aspire à développer dans ses activités professionnelles. La thèse donne parfois l’impression d’un travail personnel et solitaire nous confie-t-il. Cela n’en fait que mieux ressortir pour lui la nécessité d’un travail d’équipe. « Je me rends compte à quel point c’est très important. Avoir des points de vue différents, des expertises différentes, cela fait vraiment avancer les choses ».

Au sein du Projet LEGO (Logic elements by Gate Overstating), sa thèse implique deux autres laboratoire à Toulouse et Bordeaux. Il construit ainsi au fil de sa thèse des échanges avec plusieurs chercheurs de ces laboratoires. « C’est très enrichissant pour le développement professionnel. Cela me permet aussi de préciser le type d’environnement dans lequel je souhaite travailler plus tard ». Actuellement en deuxième année de thèse, son expérience de médiation semble lui avoir ouvert d’autres horizons. 

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