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Déconfinement des quarks, casse-tête de la physique

C’est l’un des mystères de la physique moderne. Il donne du fil à retordre aux physiciennes et physiciens des particules : le déconfinement des quarks

⏱ lecture : 7-8 min  

A quoi ressemblait l’univers dans ses tous premiers instants ? Pour les physiciennes et physiciens, une des réponses se trouve certainement dans les plasmas de quarks et gluons. La matière est faite d’atomes, dans lesquels se trouvent les neutrons et les protons, eux même constitués d’assemblages de quarks. Mais dans les quelques microsecondes après le Big Bang, ces quarks n’étaient pas ainsi confinés. Pour comprendre cet étrange état de la matière, les scientifiques explorent de nouveaux cadres théoriques de l’infiniment petit, et cherchent les traces de ce plasma dans l’infiniment grand grâce aux collisionneurs et aux ondes gravitationnelles.

 

Au cœur de la matière

De quoi sommes nous fait ? De cellules répondront les biologistes. Elles-mêmes constituées de molécules et d’atomes ajouteront les chimistes. Mais la physique des particules nous apprend que les atomes sont à leur tour des assemblages d’objets encore plus petits : des particules élémentaires.

Un atome contient un noyau (un ensemble de protons et de neutrons), autour duquel orbitent des électrons. Dans le cas le plus simple d’un atome d’hydrogène : un électron et un proton. L’électron est une particule élémentaire. En revanche, le proton est une particule composite : un assemblage de trois quarks. Les quarks sont des particules élémentaires au même titre que les électrons, mais leur nature est très différente.

représentations de l'atome et des quarks confinés

 

 

Entre interactions et charges

Plusieurs caractéristiques permettent de distinguer les particules élémentaires, telle que la masse ou la charge électrique.

La charge électrique caractérise une interaction entre objets, qui se repoussent ou s’attirent, un peu comme des aimants, en fonction du signe de cette charge (positif ou négatif). Au sein des atomes, les électrons (de charge électrique négative) et les protons (de charge électrique positive) interagissent en permanence en s’échangeant des photons, les « particules constituant la lumière ». C’est ce qu’on appelle l’interaction électromagnétique. En ce sens, la masse aussi est une charge. Des particules ayant une masse interagissent par interaction gravitationnelle (une interaction uniquement attractive).

De façon analogue, une interaction assure la cohésion des protons et des neutrons en maintenant ensemble les quarks : l’interaction forte. Elle ne résulte pas d’une charge électrique, mais d’une charge spécifique aux quarks appelée charge de couleur. A noter qu’elle n’a rien à voir avec la couleur d’un objet, mais les physiciens sont joueurs. Par exemple « quark » semble venir d’un livre de James Joyce désignant une sorte de fromage blanc !

Three quarks for Muster Mark!

Sure he has not got much of a bark

And sure any he has it’s all beside the mark.
                                                                               (James Joyce (1939), Finnegans Wake)

La charge de couleur caractérise l’interaction des quarks par le biais de particules appelées des gluons (« glue » ou « colle »). Ainsi, de la même façon que l’interaction électromagnétique est transportée par les photons, les gluons sont l’intermédiaire de l’interaction forte.

L’interaction forte est décrite dans le cadre de la chromodynamique quantique. Les scientifiques l’ont baptisée ainsi notamment parce que, parmi les 4 interactions fondamentales, elle est… la plus forte ! Mais elle présente surtout des propriétés étonnantes. L’une d’elle interdit à un quark d’être isolé. Cela ne signifie pas qu’il est impossible de briser l’interaction forte. Plutôt, lorsqu’on extrait un quark d’un proton, de manière surprenante on observe toujours trois quarks au sein de ce même proton. C’est ce qu’on appelle le confinement des quarks.

Pourtant, à un certain moment dans l’histoire de l’univers, les quarks se trouvaient dans un état déconfiné dans un plasma de quarks et gluons.

Un plasma de quarks et gluons

De la même façon qu’un solide fond, ou qu’un liquide s’évapore lorsque la température augmente, un plasma désigne un changement d’état. C’est l’état dans lequel les atomes d’un gaz se décomposent, les charges se séparent. Dans un gaz d’hydrogène (pour prendre l’exemple le plus simple), l’électron et le proton ne peuvent pas se mouvoir librement l’un par rapport à l’autres. Ils sont comme collés entre eux. C’est ce qu’on appelle un état lié. Mais à des températures, très hautes (typiquement une dizaine de milliers de degrés) il se produit un phénomène d’ionisation. L’état lié de l’atome se rompt et l’état plasma se forme : un état dans lequel protons et électrons sont libres les uns par rapport aux autres.

De manière analogue, un plasma de quarks et gluons est un état dans lequel les quarks et les gluons ne sont plus liés entre eux. A des températures extrêmes dépassant les mille milliards de degrés Celsius, l’interaction forte liant les quarks entre eux devient « étrangement faible ». En effet, lorsque les quarks deviennent très énergétique, en raison par exemple de très hautes températures, la force forte s’affaiblit. Le noyau des atomes se vaporise, libérant quarks et gluons. C’est ce qu’on appelle le déconfinement des quarks. Bien que l’analogie avec un plasma d’hydrogène permette de donner une représentation du plasma de quarks et gluons, « l’analogie reste fausse pour une raison très difficile à expliquer » précise Hubert Hansen.

Prédit par la chromodynamique quantique, cet état plasma a été mis en évidence au supersynchrotron à protons du CERN en 2000.

Mais quel lien avec les ondes gravitationnelles ?

D’après le modèle standard, cet état particulier de la matière a probablement existé dans les tous premiers instants de l’univers. Difficile en revanche d’en observer des restes aujourd’hui. Le fond cosmologique diffus ne dit rien sur cette période, qui lui est antérieure.  Depuis quelques années, en plus des collisionneurs, les espoirs des scientifiques se tournent vers les étoiles à neutrons.

Comme son nom l’indique, ces corps astrophysiques massifs sont constitués essentiellement de neutrons. Mais contrairement à une étoile comme le soleil, une étoile à neutrons est un objet extrêmement dense, c’est-à-dire très massif tout en étant relativement petit. « Pour vous donner une idée de la densité d’une étoile à neutron, c’est comme si la masse de toute l’humanité se retrouvait contenue dans un dé à coudre », précise Antoine Cazes. Or un objet extrêmement dense est aussi un objet très énergétique. Dans cette situation, comme dans les situations de très hautes températures, l’interaction forte s’affaiblit explique Hubert Hansen. Dans les étoiles à neutrons, des niveaux d’énergie de l’ordre de 200 MeV sont susceptibles d’entraîner ce déconfinement des quarks.

 

 
Mais c’est quoi un MeV ?

Des méga électronvolts

Dans le langage de la physique des particules, tout se mesure en énergie. Depuis, la célèbre formule d’Einstein E=mc², nous avons appris qu’une énergie peut se convertir en masse (et inversement). De la même façon, une autre formule loi de la mécanique quantique relie l’énergie et le temps. Ainsi, toute grandeur physique peut être réexprimée en énergie ou ses multiples. 

L’électronvolt (eV), est une unité d’énergie, tout comme le Joule. Seulement, l’électronvolt s’avère bien plus pratique que le Joule à manipuler.

A titre d’exemple, 200 MeV (Méga électronvolts) correspond à une température de plus de 1000 milliards de degrés Celsius. Pas très pratique à manipuler…

Cependant, au-delà de l’aspect pratique, des raisons théoriques justifient que le choix de l’énergie est pertinent. Mais toute la théorie pourrait être réécrite à partir d’une autre grandeur comme le temps.


De plus en plus d’indices semblent donc indiquer qu’un plasma de quarks et gluons pourrait se former au sein des étoiles à neutrons. En particulier lors de leur fusion.

Une réponse pourrait être apportée dans les prochaines années grâce à la mesure des ondes gravitationnelles. Leur découverte en 2017 par la collaboration LIGO/VIRGO, dont une équipe VIRGO existe à l’IP2I, a offert un nouveau moyen de sonder l’univers. Auparavant, la lumière était la seule source d’informations en astrophysique pour regarder l’univers. Avec les ondes gravitationnelles ils sont maintenant en mesure, en quelques sorte, de l’écouter ou de le sentir.

Or, la fusion des étoiles à neutrons produit un signal d’ondes gravitationnelles très fort. La présence du plasma de quarks et gluons pourrait alors se trouver dans la signature de ces ondes. En combinant ces observations avec des modèles théoriques, les scientifiques espèrent en apprendre plus sur les premiers instants du Big Bang. Toutefois ce lien entre théorie des quarks et naissance de l’univers reste très difficile à faire. Bien que valide pour décrire le comportement des quarks, la chromodynamique quantique reste assez mal comprise des physiciennes et physiciens eux-mêmes, avoue Hubert Hansen.

 

Un plasma dans quel état ? 

Les expériences réalisées sur ce plasma dans les collisionneurs de particules, comme dans l’expérience ALICE menée au LHC au CERN, ont en effet réservé de belles surprises. En réalisant des collisions d’ions lourds, très énergétiques, à des vitesses proches de celles de la lumière, les scientifiques créent une minuscule boule de feu dans laquelle ils peuvent étudier le plasma quarks-gluons. Les observations ont alors déjoué certaines prédictions.

Les scientifiques s’attendaient notamment à ce que ce plasma se comporte comme un « gaz ». D’après la théorie, les neutrons et protons se « vaporisent » dans la boule de feu, comme en quelque sorte l’hydrogène se vaporise en électrons et protons. Or, les observations du collisionneur RHIC à Brookheaven indiquent que l’état de ce plasma se rapproche plus de celui d’un liquide. C’est en observant les débris de la boule de feu créée que les scientifiques sont parvenus à cette conclusion. Mais comment distinguer un gaz d’un liquide ? « C’est une question de géométrie » explique Hubert Hansen.

Imaginez une goutte de liquide. Si vous appuyez dessus pour lui donner la forme d’un ballon de rugby, la goutte va spontanément revenir à une géométrie sphérique. Au contraire, un gaz gardera sa forme de ballon de rugby. En mesurant la distribution géométrique des débris de la boule de feu dans l’accélérateur à particules, les scientifiques ont observé que le système évolue spontanément vers une géométrie sphérique, donc un comportement plus proche d’un liquide.

Le déconfinement des quarks : analogie liquide

Déconfinement des quarks : un lien entre théories et expériences à faire

Ainsi, la chromodynamique quantique permet de décrire le comportement des quarks, tout en restant assez mal comprise des chercheurs et chercheuses. « Il nous manque le cadre mathématique pour comprendre le déconfinement des quarks » explique Hubert Hansen. Un des défis théoriques majeurs de la physique des particules, qui n’est pas pour décourager les scientifiques, bien au contraire ! « Travailler en lien avec les grandes expériences, cela fait partie intégrante de notre métier de théoricien à l’IP2I. Et c’est une chance ! Dans la physique des hautes énergies, la théorie est souvent en l’avance sur les expériences. Dans notre cas, le cadre est bien connu. Et même si on n’y arrive pas encore, on sait où aller » ponctue le chercheur.

A propos de l’expérience ALICE : 

C’est est l’une des six expériences prévues sur le LHC du CERN (Genève) à partir de 2008. Elle est destinée à l’étude du plasma quark-gluon, qu’elle obtiendra par collision d’ions lourds. L’IP2I fait partie intégrante de cette grande expérience. 

A propos de VIRGO

Virgo est un instrument scientifique géant installé près de Pise en Italie, résultant de la collaboration internationale de  laboratoires de cinq pays (France, Italie, Pays-Bas, Pologne et Hongrie). L’IP2I a été directement impliqué dans ce projet. Une équipe dédiée à notamment caractérisé les miroirs de ce détecteur qui, en 2017, a prouvé l’existence des ondes gravitationnelles.

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