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Décentraliser le réseau d'assainissement des eaux en ville​

Quelles solutions pour infiltrer et traiter l'eau plus localement ? ​

Décentraliser le réseau d'assainissement des eaux en ville​

Quelles solutions pour infiltrer et traiter l'eau plus localement ? ​

Décentraliser le réseau d'assainissement des eaux en ville​

Quelles solutions pour infiltrer et traiter l'eau plus localement ?

VILLE DURABLE

Décentraliser le réseau d'assainissement des eaux en ville​​

Décentraliser le réseau d'assainissement des eaux en ville

Par Matthieu Martin.

Ville de demain | Face à l’urbanisation croissante, l’urgence climatique et les enjeux de restauration de la biodiversité, les réseaux d’assainissement des eaux en ville évoluent, afin de désimperméabiliser les sols et gérer les eaux usées et pluviales plus localement.

Une eau propre et accessible pour tous. C’est l’un des dix-sept objectifs de développement durable affichés par les nations-unies. Dans un contexte de raréfaction de l’eau, préserver et valoriser les eaux pluviales et les eaux usées constitue un enjeu majeur des villes. Longtemps évacuées de centres urbains, ces eaux retrouvent peu à peu leur place en milieu urbain, et les systèmes d’assainissement se transforment. Mais la tâche reste lente et difficile, tant l’organisation des réseaux actuels est héritée d’une longue histoire et de visions de l’eau en ville propres à chaque époque. Se pencher sur la gestion de cette ressource indispensable en ville, c’est comme observer en miroir notre modèle de société. Modèle aujourd’hui chamboulé par les défis climatiques.

Un système d’assainissement centralisé mis à mal​

La problématique d’assainissement de l’eau apparait très tôt dans l’histoire des civilisations. Pour éviter les transmissions de maladies et les risques d’épidémies, les eaux usées étaient évacuées le plus loin possible des villes. Au VIe siècle av. J.C., Rome inaugura un égout collecteur des eaux usées (Cloaca Maxima). C’est ensuite au XIXe siècle que la problématique des eaux usées est redécouverte, sous l’impulsion des courants hygiénistes. Le médecin anglais John Snow observa à Londres que les épidémies étaient liées à certains points d’eau, puis relia la contamination des points d’eau aux eaux usées. C’est le début des premiers systèmes d’assainissement modernes sous forme de réseaux unitaires, collectant et acheminant à la fois les eaux pluviales et les eaux usées domestiques hors de la ville, tout d’abord directement dans les rivières et fleuves, puis ensuite vers des stations d’épuration. Pensée jusque-là par des hygiénistes, la gestion des eaux usées et des eaux pluviales se technicise, devenant du ressort des ingénieurs, observe Frédéric Cherqui, chercheur au Laboratoire Déchets eaux environnement pollution (DEEP). « Toute une série de facteurs ont amené à ces réseaux d’assainissement centralisés, dirigés par l’idée, à l’époque, que l’on pouvait tout résoudre par la technologie », observe ce chercheur qui travaille sur une gestion intégrée des eaux urbaines.

« On a créé un système qui n’est plus adapté aujourd’hui, que l’on n’arrive pas à renouveler, et qui va dysfonctionner de plus en plus dans le contexte actuel »​

Mais l’urbanisation croissante a mis à mal ce paradigme. L’augmentation des surfaces imperméabilisées augmente la proportion d’eaux pluviales ruisselant vers le réseau. Et dans le même temps, « on a connecté aux anciennes stations de nouveaux réseaux, les plaçant davantage sous-tension, avec des risques de débordements lors des épisodes de forte pluie », analyse Pascal Molle, chercheur au Laboratoire Reversaal (« Réduire, réutiliser, valoriser les ressources des eaux résiduaires »). Avec comme conséquence le relargage d’eaux pluviales et d’eaux non-traitées, chargées en polluants, directement en milieu naturel. Or, les villes doivent aujourd’hui se préparer aux changements climatiques et aux risques d’événements extrêmes –  comme les fortes pluies – plus fréquents. Un contexte favorable aux débordements, qui risque de mettre à mal le réseau, avec des impacts négatifs pour les écosystèmes aquatiques, pour l’agriculture, et la santé des populations.

La tension exercée sur les systèmes d’assainissement des eaux usées fait ressortir une autre de ses faiblesses : son renouvellement. Le réseau installé à partir des année 80 a été conçu avec une durée de 50 à 60 ans. Or, le renouvellement actuel de ce réseau est de l’ordre de 0,4% par an note Pascal Molle. « À ce rythme, tout se passe comme si l’on considérait que le réseau sera viable pendant 250 ans, ce qui est absurde. On a créé un système qui n’est plus adapté aujourd’hui, que l’on n’arrive pas à renouveler, et qui va dysfonctionner de plus en plus dans le contexte actuel », alerte-t-il.

« La vie électrique : le vingtième siècle ». Une vision de la gestion des réseaux urbain à la fin du XIXème siècle. Texte et dessins par A. Robida. 1892.

Plan du réseau de Lyon 1887 - Eau en ville - Ville durable - Sciences pour tous

Premiers réseaux d’égouts établis en 1887 et supervisés par le docteur A. Lacassagne, médecin français et Professeur à la Faculté de médecine de Lyon.

Les techniques alternatives, premier pas vers la décentralisation​

La problématique des débordements des stations n’est pourtant pas récente. Et dès les années 80, les premières solutions émergent, consistant à installer des bassins de rétention en amont des stations d’épuration. C’est le début des « techniques alternatives » au réseau. On voit aussi des réseaux unitaires progressivement remplacés par des réseaux séparatifs, collectant séparément eaux de pluies et eaux usées. Peu à peu, se développe cette idée de décentraliser le réseau, afin de soulager le système d’assainissement et infiltrer l’eau pluviale plus localement. Une gestion de l’eau qui se veut au plus près du cycle naturel de l’eau en évitant l’assèchement des sols et en favorisant l’infiltration de l’eau pluviale vers les nappes phréatiques. Du point de vue environnemental, délocaliser le traitement des eaux usées, avec une gestion de volumes d’eaux plus petits, réduit également l’impact des débordements sur les milieux naturels. Mais l’argument est aussi économique, car l’acheminement des eaux vers les stations via le réseau constitue une dépense importante dans le coût du système d’assainissement.

Aujourd’hui en France, ces techniques alternatives se déploient dans de nombreuses villes. Lyon ayant été l’une des pionnières en la matière. « Dans les années 80-90, c’est grâce à la mobilisation des services techniques de gestion de l’eau, qui ont porté la problématique en interne, que la Métropole s’est engagée dans des techniques alternatives de gestion des eaux pluviales en ville » souligne Frédéric Cherqui. Cependant, une gestion durable n’est plus seulement du ressort des hydrauliciens. En effet, de nouvelles techniques basées sur des solutions fondées sur la nature intègrent d’autres dimensions de l’eau en ville.

La gestion de l’eau, de multiples services rendus à la ville​

« Les solutions d'aménagement sont plus durables si elles sont multifonctionnelles, plutôt que pensées uniquement pour le traitement ou l’infiltration »

Filtres plantés, ilots et toits végétalisés pour infiltrer l’eau, fossés et noues intégrés en ville… Les collectivités développent de plus en plus de sites au cœur des villes. Ces ouvrages répondent à des problématiques de désimperméabilisation des sols, d’infiltration et de valorisation des eaux usées et pluviales, mais aussi à d’autres besoins. D’abord pour des raisons pratiques analyse Frédéric Cherqui : « ces aménagements installés en surface occupent davantage de foncier dans des espaces déjà très urbanisés. On attend donc qu’ils rendent davantage de services à la ville pour être soutenables ». Comme limiter les surchauffes urbaines, favoriser le bien-être et la santé en ville, servir de refuge à la biodiversité. La présence d’eau en ville est indispensable pour le maintien de ces espaces végétalisés. Plus généralement, et dans un contexte de pénurie d’eau de plus en plus marqué, il devient aberrant de rejeter les eaux pluviales aux égouts au lieu de valoriser cette ressource précieuse.

Spécialiste de la valorisation des eaux usées, Pascal Molle plaide également en faveur d’usages multiples de l’eau en ville. « Les solutions d’aménagement sont plus durables si elles sont multifonctionnelles, plutôt que pensées uniquement pour le traitement ou l’infiltration » assure-t-il. Au laboratoire Reversaal, le projet Multisource dans lequel il est impliqué s’appuie sur des solutions fondées sur la nature pour proposer de nouveaux moyens de traitement des eaux usées qui soient décentralisés, basés sur des traitements fondés sur la nature et s’intégrant dans un contexte urbain local. Ainsi, des chercheurs étudient par exemple la dynamique de populations bactériennes dans ces technologies vertes, et travaillent à optimiser les filières de traitement des eaux usées pour le contexte urbain. D’autres travaux s’attachent à sélectionner la meilleure espèce végétale à implanter, en répondant à des critères comme la résistance à la sécheresse, de bonnes capacités d’évapotranspiration pour évacuer l’eau et apporter de la fraicheur. Des caractéristiques que l’on cherchera chez des espèces locales, afin de limiter l’apparition d’espèces exotiques, risque potentiel pour la santé humaine et la biodiversité locale.

La question de l’infiltration nécessite également de s’intéresser aux sols, que l’on a trop souvent considérés comme des « éponges », souligne Agnès Richaume, Professeur à Lyon 1 et spécialiste des sols au Laboratoire d’écologie microbienne. « Pendant longtemps, le paradigme dominant était d’abord de s’assurer que les polluants n’atteignent pas la nappe phréatique. Et l’on pensait, à tort, que les sols avaient une capacité d’autoépuration, qu’ils pouvaient donc absorber ces polluants, sans se soucier de l’impact pour le sol et sa biodiversité en elle-même », rappelle-t-elle. Aujourd’hui, même si ce paradigme peine à évoluer – il n’existe toujours pas de stratégie cadre pour les sols pointe la chercheuse –, les scientifiques intègrent davantage cet aspect dans les projets de gestion de l’eau.

Noue sur le campus de la Doua pour favoriser l'infiltration de l'eau de pluie dans le sol. © F. Cherqui
Eau en ville - Ville durable - Sciences pour tous
Des initiatives implantées en ville pour permettre une meilleure infiltration des eaux pluviales - © F. Cherqui

De nouvelles expertises et de nouveaux usages à penser ​

En clair, « la gestion de l’eau en ville n’est plus une problématique simplement hydraulique, mais mobilise des expertises scientifiques extrêmement diverses » résume Frédéric Cherqui. Une complexité qui se retrouve aussi dans l’évaluation des performances de ces nouveaux aménagements. Contrairement aux services hydrauliques, la question est bien plus difficile à appréhender dès lors que l’on s’intéresse à l’impact sur la biodiversité, sur les surchauffes urbaines, sur le bien-être des habitants, reconnaissent les scientifiques. C’est aussi l’un des enjeux des solutions fondées sur la nature. « On travaille sur des outils décisionnels afin de comparer et optimiser des scénarios de gestion des eaux urbaines tenant compte de l’efficacité, du coût économique et environnemental, afin qu’ils soient mieux intégrés dans les décisions des collectivités », abonde Pascal Molle.

De même, qu’en est-il de leur entretien ? De leur durée de vie ? Comment les entretenir en conservant leurs différentes fonctions et à moindre coût ? Autant de questions sur lesquelles penchent scientifiques et acteurs de la métropole afin de déployer ces solutions en ville. Mais pour Pascal Molle, il ne s’agit pas d’abandonner les systèmes centralisés, ces derniers restant adaptés à une forte demande dans un contexte urbain où peu d’espaces sont disponibles. L’enjeu est davantage de trouver un meilleur équilibre entre centralisation et décentralisation afin de limiter les coûts économiques, énergétiques, et faire baisser la pression sur les systèmes d’assainissement actuels, tout en favorisant les fonctions essentielles à la ville de demain. Pour autant, « même si les techniques sont plus résilientes et plus efficaces, elles ne permettront pas d’augmenter les usages », prévient Pascal Molle. La solution technique ne saurait se prévaloir d’une réflexion sur nos usages de l’eau, tout comme la technologie seule ne pourra bâtir une ville durable et soutenable.

Ressources

La plateforme Wikihydro, du Cerema

La série vidéo Méli-Mélo, pour démêler les fils de l’eau avec deux acteurs de Kaamelot

Nous, les fleuves, exposition au Musée des confluences

Recycler les eaux usées de blanchisseries : le projet Life RECYCLO, article Pop’Sciences

Un dossier Sciences pour tous réalisé à l’Université Claude Bernard Lyon 1

Comment créer des espaces plaisants à vivre pour toutes et tous, performants dans leur manière de rendre des services multiples, et adaptables et résilients face aux défis de l’Anthropocène ? Ces derniers, dans un contexte d’urbanisation croissante, ont démontré aux décideurs comme aux citoyens qu’un changement de paradigme est nécessaire. Il n’est plus possible de concevoir une métropole comme un territoire largement découplé de la nature, mais bien d’imaginer des territoires urbains et péri-urbains comme des socio-écosystèmes où humains et non-humains peuvent vivre en harmonie. 

S’appuyant sur des recherches et des travaux en cours à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et dans les laboratoires lyonnais, des chercheurs et des chercheuses posent un regard sur la ville de demain, et l’importance de renouer avec notre environnement, de lui faire de la place et de le faire durer.

 

Un dossier Sciences pour tous réalisé à l’Université Claude Bernard Lyon 1

Comment créer des espaces plaisants à vivre pour toutes et tous, performants dans leur manière de rendre des services multiples, et adaptables et résilients face aux défis de l’Anthropocène ? Ces derniers, dans un contexte d’urbanisation croissante, ont démontré aux décideurs comme aux citoyens qu’un changement de paradigme est nécessaire. Il n’est plus possible de concevoir une métropole comme un territoire largement découplé de la nature, mais bien d’imaginer des territoires urbains et péri-urbains comme des socio-écosystèmes où humains et non-humains peuvent vivre en harmonie. 

S’appuyant sur des recherches et des travaux en cours à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et dans les laboratoires lyonnais, des chercheurs et des chercheuses posent un regard sur la ville de demain, et l’importance de renouer avec notre environnement, de lui faire de la place et de le faire durer.