Un chercheur, une thèse, une image : c’est le défi lancé depuis 2011 par These’s art, projet qui réunit de jeunes chercheurs et des photographes souvent non scientifiques. Ils reviennent sur cette expérience.
Xavier Hinaut par Amélie Véron (2011)
Xavier Hinaut a réalisé sa thèse en Neurosciences Computationnelles à l’Institut Cellule Souche et Cerveau. Il est actuellement post-doctorant Marie Curie à l’Université d’Hambourg, travaillant toujours sur la modélisation de l’acquisition du langage avec des réseaux de neurones artificiels en l’appliquant à la robotique.
Amélie Véron a été post-doctorante en bioinformatique au Laboratoire de Biométrie et Biologie Évolutive de 2008 à 2010. Elle travaille aujourd’hui dans une PME spécialisée dans la modélisation.
Comment est née l’envie de participer au projet These’s art ?
Amélie : J’ai rencontré Eric Le Roux au club photo de l’université, sur le campus de LyonTech-la Doua et c’est lui qui m’a parlé du projet. Ce qui m’a plu au premier abord, c’est l’idée de montrer le travail des thésards d’une manière différente. Je connais bien la photo, j’ai une activité secondaire de photographe indépendante depuis 2008 : je fais des photos de mariage et de famille. Pour moi, These’s art présentait aussi un défi très intéressant : raconter une histoire en une seule photo, plutôt que produire un reportage en une série d’images comme je fais habituellement.
Xavier : Le mélange Art et Sciences m’a tout de suite plu, et je me suis dit que c’était une forme originale de vulgarisation … même si au départ je n’avais aucune idée de comment expliquer et mettre en image (une seule !) un sujet si abstrait !
Durant ma thèse je me suis rendu compte que les processus de création artistique et la recherche scientifique ont beaucoup de points communs, l’approche me paraissait naturelle. De plus, je participais aux cours de théâtre et de danse contemporaine de l’université Lyon 1 : c’était par moments vraiment “libérateur” pour “réinitialiser son cerveau” et s’abstraire de son sujet de thèse dans lequel on reste plongé des journées et des nuits parfois.
Comment vous est venue l’idée de départ pour la conception de l’image ?
Amélie : J’avoue que son sujet de thèse m’avait un peu séchée ! Des quatre thésards que j’ai photographiés dans le cadre de ce projet, c’est d’ailleurs celui qui m’a donné le plus de fil à retordre de ce côté-là. On ne se connaissait pas, on a donc pas mal discuté. L’objectif était de représenter autant la personne que son travail, d’où la combinaison de planche à voile qui est le sport préféré de Xavier. Ensuite on est parti de l’idée que la simulation, qui était au cœur du travail de thèse de Xavier, comportait une part de hasard. Or Xavier aime les jeux de société : nous avons donc décidé de les intégrer à la prise de vue. L’ordinateur vient souligner la manière dont il travaille, les outils qu’il utilise. Enfin, nous avions convenu dès le départ que j’ajouterais un visuel des résultats de simulation que Xavier avait obtenu a posteriori pour figurer les réseaux neuronaux sur lesquels il travaillait.
Xavier : Comme il fallait entremêler sujet de thèse et passions, l’idée en rapport avec l’eau m’est venu rapidement, car j’adore la planche à voile (d’où la combinaison que je porte). De plus, une variante des modèles que j’utilise s’appelle “Liquid State Machines” (“machines à états liquides”) : l’analogie est que le réseau de neurones serait un lac sur lequel on jetterait des cailloux (les mots de la phrase) à différents moments et endroits, les motifs circulaires produits à la surface de l’eau formes des motifs différents selon les phrases et forment une “mémoire à court terme” de la phrase. J’ai donc mis ma combinaison pour la photo pour montrer que je “plongeais” dans ces populations de neurones tel un océan d’activités électriques. Ensuite les dés du jeu de société Perudo représentent le côté aléatoire dans le structure des réseaux de neurones… d’ailleurs il n’y a pas que des dés, une figurine de robot d’un autre jeu se cache parmi eux, tel un clin d’œil à l’application de mes modèles au robot humanoïde iCub (pour lui apprendre la grammaire). J’avais aussi amené des livres sur divers centres d’intérêts liés à ma thèse, comme la théorie du chaos qui s’applique aux systèmes dynamiques dont font partis certains réseaux neuronaux, mais qui n’ont pas servi finalement.
Comment s’est déroulée la prise de vue ? Comment est construite l’image ?
Amélie : Nous avons réalisé la photo au studio du club photo de LyonTech-la Doua. C’était intéressant pour moi car je ne travaille qu’à la lumière naturelle d’habitude. Xavier a apporté plusieurs objets pour représenter les divers aspects de sa thèse. Je les ai photographié indépendamment pour pouvoir les ajouter sur la photo retravaillée, en particulier des livres sur le cerveau et la théorie du chaos. Finalement, j’ai préféré garder les choses les plus simples possibles. Il n’est plus resté sur l’image que les dés, qu’il nous a fallu lancer de nombreuses fois avant d’obtenir un rendu qui nous plaisait !
Xavier : C’était la première fois que je me retrouvais dans un labo photo, je me souviens de ce rouleau tout blanc et je me disais “Ah c’est comme ça qu’ils font !” ou “je vais m’asseoir la-dessus ?”. Et puis on a testé différentes idées qui venaient au fil de l’eau dans la bonne humeur alors qu’on se connaissait peu… Il fallait aussi me plonger dans mes réseaux neuronaux et donc réfléchir à comment les intégrer et leur laisser une place dans l’image.
La justesse scientifique était-elle été une préoccupation pour vous, ou passait-elle au second plan par rapport à l’image ?
Amélie : Je me suis efforcée d’être juste par rapport à ce que j’avais saisi du travail de recherche, mais je me suis surtout concentrée sur l’aspect esthétique.
Xavier : Comme c’est un sujet abstrait il fallait trouver une façon de rendre l’idée, de transmettre le concept, mais cela n’a pas empêché d’être juste scientifiquement : comme par exemple le côté aléatoire qui est symbolisé par les dés. On a voulu intégrer une réelle trace de l’activité des neurones artificiels afin justement de ne pas être que dans les concepts, mais aussi d’intégrer l’équivalent “expérimental” de mon travail.
Au final, l’esthétique était une contrainte positive, cela a permis de choisir parmi les aspects scientifiques ce qu’il était possible d’inclure, de schématiser, de rendre esthétique.
Que vous a apporté cette expérience ?
Amélie : Je suis très contente de l’avoir fait, et je recommencerai volontiers si c’est possible. Le processus d’élaboration d’une image en duo était une démarche inédite pour moi, et j’ai beaucoup apprécié toutes les étapes qui mènent au résultat final, de la réflexion à l’aboutissement : une image unique qui sache raconter l’histoire d’un thésard.
Xavier : C’était une expérience très intéressante et enrichissante, je n’aurais pas fait ça spontanément donc c’était une très bonne idée de le proposer aux thésards et d’organiser la rencontre avec des photographes. Cela m’a permis de me rendre compte à quel point la vulgarisation est importante et qu’il faut être attentifs à la diversité des possibles. Cela m’a aussi aidé à progresser et avoir plus confiance pour faire de la vulgarisation (je ne pensais pas avoir ces capacités en début de thèse). Merci à l’Université Claude Bernard Lyon 1 pour cette super initiative !