La Montsechia vidalii donnait du fil à retordre aux paléobotanistes depuis un siècle et demi. Une équipe internationale, dirigée par un chercheur du Laboratoire de Géologie de Lyon, vient de la doter d’une identité définitive.
C’est l’histoire d’une plante inclassable, découverte un peu par hasard au XIXe siècle par un géologue espagnol. A la recherche de roches utilisables en lithographie, une technique de gravure courante à son époque, il a récolté par la même occasion le premier spécimen fossile de Montsechia vidalii sur le site pyrénéen du Montsec. On collecte aussi Montsechia vidalii à Las Hoyas, dans la chaîne hibérique, où elle représente près de la moitié des plantes fossiles mises à jour. Décrite pour la première fois dans une publication scientifique en 1902, Montsechia a sa fiche Wikipedia depuis août 2015. Pendant les 113 ans qui séparent les deux dates, cette plante du Barrémien (-130 à -125 millions d’années environ) a donné bien du fil à retordre aux paléobotanistes. Une équipe internationale dirigée par Bernard Gomez, du laboratoire de Géologie Terre, Planètes, Environnement (Université Claude Bernard Lyon 1 / CNRS / ENS) vient de la doter d’une carte d’identité définitive, porteuse de deux caractéristiques clé : c’était une plante à fleurs, et une plante aquatique. Avec ses 130 millions de printemps, la Montsechia est même à ce jour la doyenne des plantes à fleurs de la planète (le précédent record était détenu par l’Archaefructus, découverte en Chine). Le travail de Bernard Gomez et Véronique Daviero-Gomez de l’Université Claude Bernard Lyon 1, Clément Coiffard du Muséum de Berlin, Carles Martín-Closas de l’Université de Barcelone, et David L. Dilcher de l’Université de l’Indiana (Etats-Unis), a été publié en août 2015 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences et a rencontré un immense écho médiatique. Il pourrait contribuer à éclaircir ce que Charles Darwin qualifiait d’”abominable mystère” : l’apparition des plantes à fleurs dans le règne végétal. Comme souvent, cette avancée est le résultat de beaucoup de travail et de quelques petits coups de pouce du destin : “En 1998, j’étais à Barcelone pour ma thèse et Carles Martín-Closas, avec qui je co-signe cette étude, m’a laissé quelques cailloux qui portaient des fragments de Montsechia”, raconte Bernard Gomez. “Un peu pour rire car ils étaient destinés à la poubelle”. Bernard Gomez a l’idée de verser goutte après goutte de l’acide chlorhydrique pour libérer ces plantes momifiées dans leurs sarcophages calcaires. Il ne cherchait au départ qu’à décrire leurs appareils stomatiques, des cellules particulières ménageant un orifice qui permet l’entrée du dioxyde de carbone nécessaire aux végétaux, pour déterminer à quel groupe cette espèce est apparentée. Cette technique s’avérera une avancée déterminante pour l’étude de Montsechia. Au cours des années, la Montsechia vidalii est en effet passée d’un groupe de plantes à l’autre au gré des publications : certains chercheurs en faisaient une mousse, une prêle, un conifère, une gnétale ou encore une angiosperme. Les angiospermes produisent des fleurs et donc des fruits, et leur appareil reproducteur est le plus évolué parmi les plantes vasculaires. Or, Montsechia ne ressemble à aucune plante à fleurs actuelle et son âge ne la rattache pas immédiatement à un tel degré d’évolution : il fallait donc regarder au-delà des apparences pour déterminer à quel groupe elle appartient. “On a trouvé une pièce après l’autre”, résume Bernard Gomez. Après les cellules épidermiques et notamment les appareils stomatiques, c’est l’architecture et la morphologique de la plante qui est mise à jour par Véronique Daviero-Gomez : elle découvre que deux formes très distinctes se rencontrent chez la Montsechia, l’une à longues feuilles organisées par paires et la seconde à feuilles courtes organisées en spirale… mais la microscopie atteste qu’elles sont une seule et même plante. La pièce suivante est venue du travail de terrain : la découverte de fossiles portant des fruits : “J’ai eu aussi la chance de fouiller tous les ans à Las Hoyas”, souligne Bernard Gomez. “J’ai trouvé quelques fruits attachés et je les ai préparé pour déterminer si je me trouvais face à une angiosperme.” Car les angiospermes ont pour particularité de cacher la graine enfermée à l’intérieur d’un carpelle, qui devient fruit (cerise, abricot) quand la plante a été fécondée. Trouver un fossile avec des fruits encore sur la tige était donc essentiel pour établir la relation de parenté entre la Montsechia et les angiospermes. “Plus tard, je me suis rendu compte que les fossiles qui avaient des feuilles courtes étaient jetés, car les fouilleurs pensaient qu’ils étaient mal préservés !” C’est sur la forme à feuilles courtes que l’on trouve le plus souvent des fruits attachés… mais en raison de ce biais surtout esthétique, les précédents travaux ne portaient que sur la forme à feuilles longues. Bernard Gomez récupère ainsi nombre de fossiles à feuilles courtes pour les préparer et les étudier. Ultime rebondissement : “En 2012, nous préparions une publication avec David L. Dilcher et il m’a proposé de lui exposer à nouveau tout ce que je savais, depuis le début. J’ai donc repris d’anciennes préparations microscopiques et je me suis aperçu que l’un des fruits contenait non seulement une graine, mais surtout un funicule (la connexion entre la graine et le placenta) : c’est un indice déterminant en faveur de la plante à fleurs. Je l’avais eu sous les yeux et je ne l’avais pas vu avant !” Que Montsechia soit une plante aquatique est apparu comme une évidence : très peu d’appareils stomatiques, une cuticule extrêmement fine, des tiges étroites et démesurément longues donnant une allure de grande flexibilité, des fruits sans pistil, nombreux et localisés sur toute la plante, une très grande abondance de ces fossiles comparativement aux autres plantes terrestres, sans oublier que le site de Las Hoyas est un ancien lac, tout convergeait vers cette hypothèse. Mais la phylogénie (étude des liens de parenté entre les êtres vivants) considérait jusqu’ici que les plantes à fleurs ont d’abord été terrestres, puis sont devenues aquatiques dans un deuxième temps : “Notre travail repose la question de cette chronologie car les deux plus vieux fossiles d’angiospermes, Archaefructus de Chine et la Montsechia, sont sans aucun doute aquatiques.” Montsechia ne ressemble d’ailleurs pas vraiment esthétiquement à une plante à fleurs. “Comme l’a si bien dit David L. Dilcher, la première fleur est un mythe, tout comme le premier Homme, et plus on remonte dans le temps, plus les caractères des plantes à fleurs s’estompent”, résume Bernard Gomez. Le laboratoire de Géologie de Lyon, Terre, planètes et environnement (LGTPE : Université Claude Bernard Lyon 1/CNRS/ENS) rapproche et intègre des disciplines habituellement compartimentées : évolution, environnement, géophysique, géochimie, cosmochimie. Ses activités ont pour objectif la compréhension de la formation de la Terre et de son évolution, de l’apparition de la vie et de son développement. Ce champ de recherche va de la formation du système solaire jusqu’à l’exobiologie, de l’étude de la formation des chaînes de montagne jusqu’à celle des paléoenvironnements, de la dynamique du manteau et du noyau de la Terre jusqu’à celle des autres planètes. Le terrain, l’expérimentation, l’analyse et le calcul intensif sont mis à profit, ainsi que de fortes interactions avec d’autres disciplines : la physique, la chimie, la biologie, l’astrophysique.
Comment classer la Montsechia ?
Un puzzle de quinze ans
L’évolution des plantes vue sous un nouveau jour