Sur les bords de la Mer Blanche, dans le nord de la Russie, un paléontologue nous emmène sur les traces d’animaux disparus bien énigmatiques.
« Des animaux au corps entièrement mou, assez plats, apparemment sans organe interne, et au fonctionnement très simple ». Voilà à quoi ressemblaient probablement les animaux les plus vieux actuellement connus nous explique Jean Vannier, directeur de recherche au CNRS au sein du laboratoire de géologie de Lyon (LGL-TPE)*. Loin de l’aspect spectaculaire des dinosaures, particulièrement médiatisés en paléontologie (Hollywood aidant), ces premiers animaux ne présentent a priori rien d’extraordinaire. Pourtant, ils n’en suscitent pas moins l’émerveillement et l’étonnement des chercheurs.
Et pour cause. Ces restes fossiles, datant du Précambrien (il y a plus de 550 millions d’années), ne se rapprochent d’aucune espèce animale actuellement connue.
Remonter aux origines du monde animal
D’après la théorie de l’évolution, toutes les formes de vie présentes sur notre planète ont une origine commune. Autrement dit, en étudiant les espèces actuelles et disparues, les chercheurs sont capables d’établir des relations de parenté entre espèces. C’est ce qu’on appelle la phylogénie.
L’arbre généalogique des animaux est assez bien documenté grâce aux fossiles abondants dès le Cambrien (-541 Ma). Avant cette période, les informations sont en revanche très rares. Les paléontologues sont souvent confrontés à des fossiles sans équivalent direct dans la nature actuelle. Si certains semblent bien affiliés au règne animal, la question est de savoir à quels groupes d’animaux actuels ils pourraient appartenir.
Cette question intéresse particulièrement Jean Vannier. D’après lui, c’est à cette époque – la transition Précambrien-Cambrien, que « beaucoup de choses se mettent en place, des choses très importantes, qui vont perdurer ensuite jusqu’à nos jours. C’est vraiment une période clé et la faculté des organismes à se déplacer serait l’une de ces innovations majeures ».
Au Précambrien, la majorité des organismes marins vivaient fixés sur le fond et absorbaient passivement les ressources alimentaires du milieu. La locomotion constitue donc un événement important dans l’histoire de l’évolution animale. « Se déplacer, nous explique Jean Vannier, signifie qu’il y a déjà un système nerveux permettant le fonctionnement de muscles. » Etudier les débuts de la motilité animale était ainsi l’un des objectifs de sa nouvelle étude de terrain.
C’est pour trouver de nouveaux éléments de réponse qu’il a récemment établi une collaboration avec des chercheurs russes. Sur les bords de la Mer Blanche, l’équipe a pu étudier des fossiles d’animaux parmi les plus anciens actuellement connus.
La Mer Blanche : Un site exceptionnel parmi les gisements exceptionnels
Canada, Chine, Australie, Russie… le métier de paléontologue est d’abord un métier de terrain. « C’est l’un de ces domaines où l’on peut voyager, faire des découvertes dans des endroits où les gens ne vont pas habituellement ». En effet, les fossiles que Jean Vannier étudie reposent dans des sites bien particuliers à travers le monde : des « gisements à conservation exceptionnelle ». Les fossiles y sont incroyablement bien préservés – y compris, parfois, leurs organes internes. Une véritable mine d’or pour les paléontologues. On en connaît actuellement quelques dizaines dans le monde
Plusieurs conditions réunies expliquent une telle préservation :
- Un enfouissement rapide des organismes sous des sédiments fins (sables, coulées de boues, etc…)
- Un milieu pauvre en oxygène qui réduit les risques de détérioration des cadavres par d’autres organismes vivants.
- Peu de bouleversements géologiques (mouvements tectoniques, métamorphismes, …)
Mais, en général, plus les roches sont anciennes, plus les chances sont grandes qu’elles aient subi des transformations… Pour la période à laquelle Jean Vannier s’intéresse, le site de la Mer Blanche fait donc figure d’exception parmi les gisements exceptionnels. « C’est assez particulier, comme site […]. En Bretagne par exemple, il existe des roches du Précambrien, mais déformées par les mouvements tectoniques. Tandis qu’en Russie, c’est tout plat » s’étonne encore Jean Vannier.
Paléontologue : un métier de terrain
Contrairement à certains sites accessibles uniquement par bateau ou hélicoptère, les chercheurs atteignent ce gisement en longeant le rivage à marée basse. L’équipe restera sur place pendant une dizaine de jours. Grâce à l’expérience de ses collègues russes, Jean vannier et son équipe établissent un campement en bordure de plage : chaises et tables en bois, et autres commodités sont fabriquées sur place. S’il existe quelques villages à proximité pour le ravitaillement de base, la région reste sauvage, et il n’est pas rare d’y croiser des ours ou des loups.
Les paléontologues accèdent à pied au site. Sur le terrain, la première étape consiste à identifier les roches susceptibles de renfermer des fossiles. Les chercheurs relèvent des niveaux de grès – des sédiments fins qui ont ensevelis les organismes et les ont ainsi moulés. Il y a tout un travail d’excavation en falaise pour extraire les blocs de grès. Une préparation assez longue. Le mois de juin est donc la période idéale : dans cette région le climat reste doux et les journées s’allongent le soir jusqu’à 22h.
Une fois les blocs de roche identifiés et retournés, il faut encore retirer la boue collante qui recouvre généralement la surface. Elle est retirée simplement avec de l’eau et une brosse souple pour laisser enfin apparaître les empreintes fossiles. Celles-ci correspondent au moulage de la surface externe de l’animal enfoui. Les chercheurs transportent ensuite les blocs au laboratoire avec l’aide des habitants des villages proches. « Un paysan est venu avec son tracteur à marée basse pour transporter les blocs, ainsi que notre équipe. Leur aide logistique est vraiment précieuse sur le terrain ».
La paléontologie : étudier les fossiles, mais pas que…
Sur de grandes dalles de roche, on peut distinguer les organismes mais également les traces qu’ils ont laissées. La question de savoir s’il s’agit d’un déplacement propre de l’animal se pose souvent. Mais pour Jean Vannier, ces pistes assez complexes et organisées ne s’expliquent pas par des déplacements induits par des courants. Les trajectoires seraient plus désordonnées.
Pour en apprendre plus sur ces fossiles, des analyses restent à effectuer en laboratoire. Notamment, scanner et numériser les surfaces présentant des empreintes. Elles deviennent alors manipulables facilement et sans risque.
Mais pour mieux comprendre le comportement d’animaux disparus, Jean Vannier ne compte pas se limiter aux fossiles. Il envisage déjà d’autres collaborations : cette fois avec des biologistes. Pour lui, la compréhension des modes de déplacement, ou des modes alimentaires passe aussi par l’étude d’espèces actuelles. « Le contact avec les biologistes est très important. Il y a une tendance des paléontologues à ne travailler que sur des fossiles » s’amuse-t-il. « Je pense qu’il faut garder un contact avec la réalité animale de temps en temps ».
Des fossiles à préservation exceptionnelle… qu’il faut préserver
Les fossiles récoltés sont conservés à l’Institut de Paléontologie de Moscou et étudiés sur place. Il s’agit de préserver ces précieux fossiles mais aussi de protéger les sites du pillage. Une pratique encore courante que déplore Jean Vannier. « Le site où j’étais est protégé par le gouvernement russe, mais reste très isolé et donc peu contrôlé. Il attire les pilleurs, qui vendent les fossiles illégalement, et cher ». Les pratiques des chercheurs eux-mêmes ont beaucoup évoluées. Actuellement les fossiles qu’ils étudient sont systématiquement restitués à leur pays d’origine ce qui contribue à l’instauration progressive de la notion de patrimoine paléontologique.
Pour Jean Vannier, il s’agit également de valoriser la paléontologie et de sensibiliser le public à l’évolution. « D’importantes questions restent encore sans réponse, en dehors des dinosaures qui occupent le devant de la scène depuis des décennies. Le Précambrien est vraiment une période clé pour comprendre nos origines, celles du monde animal ». Faire découvrir ces étranges fossiles à un large public : un autre projet auquel ce chercheur pense déjà. Par exemple, dans le cadre d’une exposition à Lyon.
Vidéo réalisée par Aleksei GOLOVKOV et diffusée avec son autorisation
(*) Le laboratoire LGL-TPE est sous tutelles ENS Lyon/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1
Article très intéressant de cette période peu connue du grand public et qui donne envie d’en savoir plus sur ces quêtes passionnantes.
Dessinatrice, je viens de réaliser une série qui pourrait intéresser les amateurs de fossiles. Il s’agit de dessins aux crayons de couleurs créés à partir de la collection du Muséum d’histoire naturelle de Grenoble et qui y seront exposés à partir de septembre 2021.
La série de dessins, intitulée “Anthropocène”, est à découvrir sur mon site : https://1011-art.blogspot.com/p/planche-encyclopedie.html
A vous d’y trouver les fossiles contemporains nettement moins beaux … et beaucoup plus problématiques pour les générations futures !