Nous avons suivi Sylvia Pardonnet, technicienne écologue au laboratoire LBBE, qui participe à un vaste projet scientifique mené dans le parc de la Vanoise sur la marmotte alpine.
En été, le parc de la Vanoise fait le bonheur des randonneurs. En arpentant le sentier, le long d’un cours d’eau qui traverse cette vallée montagneuse, un cri strident s’élève soudain. Vous êtes prévenu·e, vous entrez sur le territoire de la marmotte alpine !
Ces boules de poils joufflues sortent depuis la fin du printemps de leur hibernation et sont facilement visibles sur les bords de sentiers. Plus rare est d’apercevoir leurs marmottons, qui au début de l’été font leurs premiers pas hors du terrier. Mais la femelle veille, dressée de toute sa hauteur au-dessus des fleurs, ou sur un rocher, et alertera à la moindre intrusion sur son territoire bien délimité.
Limite que des scientifiques du Laboratoire de biométrie et biologie évolutive (LBBE) à Lyon vous invitent aussi à ne pas dépasser, pour ne pas les déranger dans leur étude de la sociologie de la marmotte alpine.
L’étude de la marmotte alpine, un vaste projet scientifique
Arrivées dès la fonte des neiges au mois de mai, Sylvia Pardonnet et son équipe de stagiaires vont passer deux mois en autonomie complète dans la réserve de la grande Sassière dans le parc de la Vanoise. A 2500 mètres d’altitude, les conditions restent rudes, même au mois de juin où les températures oscillent entre 5°C et 30 °C. Mais cela fait huit ans que cette technicienne écologue revient chaque été dans « cette vallée magique » pour réaliser le suivi des populations de marmottes installées dans cette réserve naturelle.
Lorsque ce projet a démarré il y a trente ans, le Parc de la Vanoise cherchait à résoudre un conflit entre marmottes et agriculteurs. Les marmottes en creusant leur terrier occasionnaient des dégâts dans les cultures. Mais soucieux de la préservation de ce mammifère alpin, la direction du Parc fait appel à des chercheurs en écologie pour trouver une solution.
« A l’époque, on connaissait très peu de choses de la marmotte alpine. On s’est posé beaucoup de questions et les connaissances que l’on a acquises au fur et à mesure ont amené d’autres questions » se souvient Sylvia Pardonnet. Au fil des ans, le suivi des marmottes s’est transformé en projet scientifique d’envergure, le plus vaste mené actuellement au sein du Parc de la Vanoise.
Aujourd’hui, le suivi régulier des marmottes et de leurs petits marmottons permet aux scientifiques de comprendre le comportement, la structure sociale et l’organisation familiale de ce mammifère. Ce travail de terrain alimente également d’autres études au sein du laboratoire LBBE sur l’hibernation et le stockage des graisses, la communication des marmottes par voie chimique, le vieillissement…
Les marmottes alpines face aux changements climatiques
Récemment, les chercheurs ont commencé à porter une attention particulière aux changements environnementaux et leurs impacts sur les populations de marmottes alpines. « Depuis deux ans, on observe que le nombre de marmottons par portée est en moyenne de quatre, alors qu’avant il était de cinq » explique Sylvia Pardonnet. Un changement qui n’a l’air de rien, mais qui dans un environnement extrême pourrait modifier sensiblement la vie des marmottes s’il se confirme.
Le réchauffement climatique est pointé du doigt. La fonte accélérée des neiges en altitude réduit l’isolation thermique des terriers, obligeant les femelles à puiser dans leurs réserves pour réchauffer leur portée. Toutefois, Sylvia Pardonnet reste prudente : « c’est difficile de pointer du doigt un seul facteur comme le réchauffement climatique, car en écologie ces changements sont souvent multi-factoriels. Et puis ces changements sont ténus. Sur un ou deux ans, on ne peut rien affirmer. C’est seulement s’ils se répètent à long terme que ces changements deviennent significatifs » explique cette spécialiste des grands mammifères.
Étudier la marmotte alpine
Pour répondre à ces questions, quoi de mieux que d’étudier la marmotte dans son habitat naturel ? Sylvia et son équipe effectuent alors un travail de terrain éprouvant et rigoureux. D’abord la capture, la partie la plus longue. Si les marmottes adultes peuvent s’attraper avec des pièges et des collets, c’est autrement plus difficile avec les marmottons. Nés depuis seulement 40 jours, ils explorent l’extérieur du terrier parfois pour la première fois. La femelle est donc d’autant plus vigilante à toute présence inconnue. L’équipe devra donc se montrer patiente pour leur capture.
A cette longue étape de capture succède une phase de manipulation qui elle se doit d’être la plus rapide et efficace possible pour limiter le stress des marmottons. Sylvia Pardonnet enchaîne méthodiquement une série de mesures sur les marmots anesthésiés : pesée, taille du corps, des pattes, des dents ; prélèvement sanguin et de poils. Les marmottons sont aussi bagués et pucés pour les identifier au sein de la population sur le territoire. La manipulation dure ainsi une vingtaine de minutes. Puis les marmottons seront relâchés sans garder aucun stress lié à leur capture.
Observer les marmottes, et la nature, d’un autre regard
C’est ainsi que les scientifiques ont commencé à comprendre la structure sociale et familiale de la marmotte alpine, l’évolution des populations (nombre de marmottons par portée, sex ratio,…) ; peut-être même des modifications de leur mode de vie en raison du réchauffement climatique.
Un résultat impossible sans ce travail long et rigoureux, renouvelé chaque année avec de nouveaux étudiants qui continuent de participer à l’étude malgré les exigences de ce travail de terrain éprouvant.
Dès leur arrivée au début printemps, les étudiants recrutés par Sylvia Pardonnet découvrent la vallée encore enneigée. Ils devront s’adapter rapidement à des conditions difficiles et à un rythme de travail soutenu ; ils devront aussi apprendre à vivre en groupe dans un espace de vie réduit – le chalet du Santel, prêté par le parc de la Vanoise. Un défi loin de les décourager, bien au contraire ! « On s’est tout de suite très bien entendu. Et sur le terrain, on ne voit pas le temps passer et les journées ne se ressemblent pas » se réjouit Natacha, étudiante à l’ENSAT à Toulouse. « Malgré que nous passions deux mois dans une seule pièce, sans intimité, il y a une très bonne ambiance et beaucoup d’entraide » ajoute Manuel, étudiant en sciences de la vie à la Rochelle.
Une expérience forte, qui ouvre aussi à un autre regard pour Anne-Cécile, qui a étudié l’écologie microbienne : « On reste longtemps dans l’attente, mais ça nous amène aussi à prendre le temps d’observer les plantes, les animaux, les fleurs… et de se réémerveiller de ce qui nous entoure ». Mieux comprendre la nature pour mieux la préserver, poser sur elle un regard patient et humble, voilà aussi ce que nous enseigne l’écologie de terrain.
Crédits photographiques : © Eric le Roux – Direction de la communication de Lyon 1
Ressources complémentaires
Le projet Marmotte alpine mené au Laboratoire de biométrie et biologie évolutive (LBBE – Université de Claude Bernard Lyon 1/CNRS)
Espèces de climat – exposition numérique de la Bibliothèque universitaire de Lyon 1
La dure vie des marmottes – Journal la Croix
Bonjour Mr Martin, superbe article, pourriez vous me mettre en contact avec Mme Pardonnet ? Je vous remercie.