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L’hésitation vaccinale, comment en débattre à l’école ?

Faire de l’école un espace de débat autour des savoirs scientifiques, sur des questions telles que l’hésitation vaccinale, c’est le pari de deux chercheurs au laboratoire S2HEP (1). Une façon de travailler dès le plus jeune âge une forme émancipée et critique de rapport au savoir.

lecture : 8 min

Débattre de l’hésitation vaccinale

La campagne de vaccination débutée en France en décembre dernier n’a pas manqué d’entraîner de vives réactions. Espoirs de sortie de crise, interrogations sur la stratégie vaccinale mais aussi doutes vis-à-vis d’un vaccin produit en un temps record font l’objet depuis quelques mois de nombreuses prises de position. Positions bien souvent polarisées entre pro et anti-vaccins. Mais alors que moins d’un français sur deux envisage actuellement de se faire vacciner contre la Covid-19, le débat ne peut se réduire à renvoyer ces deux antagonistes dos-à-dos.

Comment alors, dans un contexte « d’urgence sanitaire », organiser des espaces de débat autour de la vaccination pour en comprendre les enjeux, donner une information juste et permettre à chacun de peser le pour et le contre pour se positionner ? C’est l’objet des recherches d’Olivier Morin et Baptiste Baylac-Paouly, chercheurs au S2HEP, qui s’intéressent à ces questions dites « socialement vives » (QSV).

Tandis que les relais traditionnels de l’information sanitaire disparaissent progressivement (2), et que l’hésitation vaccinale révèle une crise de confiance dans le système de santé français (3), ces deux chercheurs parient sur un autre terrain : l’école.

 

Les QSV pour faciliter les apprentissages

« Se former à l’esprit critique, c’est apprendre à penser contre sa propre pensée et aller contre ses a priori. Or c’est quelque chose de difficile à faire seul » affirme Olivier Morin. D’où l’importance pour cet enseignant-chercheur d’organiser des espaces de débats.

Or, des questions socialement vives (QSV) tels que les OGM, la transition écologique, ou les vaccins… C’est très vraisemblablement à l’école que nous nous retrouvons confrontés à ces sujets pour la première fois même si, bien souvent, d’abord sous un angle technique. Les deux chercheurs aspirent justement à mettre davantage l’accent sur la question des enjeux, des débats et controverses qui accompagnent les savoirs scientifiques, qui « a longtemps été et reste encore la « cerise sur le gâteau » dans les enseignements scientifiques » nous confient-ils. Et de préciser que ce paradigme évolue. La question des enjeux de société des connaissances scientifiques figure maintenant officiellement dans les nouveaux programmes de l’enseignement secondaire.

D’un point de vue didactique, les chercheurs exploitent l’actualité qui touche aux innovations techno-scientifiques en matière de santé ou d’environnement pour travailler les apprentissages scientifiques. S’appuyer ainsi sur ces questions socialement vives pour contribuer à une éducation scientifique, mais aussi citoyenne et politique : c’est le cœur de la démarche des deux chercheurs.

 

Le projet CEHVAC

C’est dans cette optique qu’a débuté le projet CEHVAC. D’abord centré sur l’obligation vaccinale suite à la loi de 2017 qui étendait à 11 le nombre de vaccins obligatoires pour les nourrissons, les chercheurs ont peu à peu déplacé leur terrain de recherche vers l’hésitation vaccinale.

[Elle] désigne à la fois le fait de refuser un vaccin, de l’accepter mais avec retard, ou même de l’accepter tout en nourrissant des doutes à son égard, dans un contexte de disponibilité des vaccins. (4)

L’hésitation vaccinale recouvre donc un spectre de positions très hétérogène sur les vaccins (5), loin de l’antagonisme pro/anti-vaccins qui a parfois eu tendance à être surmédiatisé rappelle Baptiste Baylac-Paouly. En France, une part importante de la population nourrit des doutes vis-à-vis d’un ou plusieurs vaccins (entre 25 % et 70 % selon les études) (3).

Alors comment aborder cette question aussi complexe que délicate dans le cadre scolaire ? Quel positionnement des professeurs en SVT, en histoire, doivent-ils avoir vis-à-vis des élèves pour favoriser le débat et développer la pensée critique ? Le projet CEHVAC vise justement à proposer des outils pour les enseignants en sciences au collège et au lycée en les intégrant directement dans le processus de recherche.

 

Les manuels scolaires, une histoire « bataille »

Replacer une avancée scientifique dans son contexte historique social, économique, politique, cette démarche est essentielle pour les chercheurs. A ce titre, les manuels scolaires constituent un objet d’étude privilégié.

Nous avons tous entendu l’histoire de ce garçon mordu par un chien, que Pasteur aurait vacciné et sauvé. Une histoire qui a traversé le temps mais aussi les frontières puisque quelques années après la mise au point du vaccin, le médecin personnel du président mexicain, formé auprès de Pasteur reproduisit l’épopée pasteurienne en soignant un enfant de berger à Mexico.

« En caricaturant un peu, on pourrait dire que, dans les manuels scolaires, l’histoire de la vaccination s’arrête-là. Toute la complexité liée au développement d’un vaccin, le contexte de l’époque sont rapidement occultés » affirme Baptiste Baylac-Paouly. C’est ce que l’on appelle « l’histoire bataille », qui glorifie un nom, une date en effaçant le parcours semé d’accident de la vaccination – avant sa mise au point et aussi bien après.

De la même façon, la poliomyélite a retenu les noms de deux scientifiques (Jonas Salk et Albert Sabin) alors que des aspects économiques et géopolitiques ont aussi été déterminants. La maladie faisait à l’époque relativement peu de morts en comparaison avec la tuberculose ou la rougeole, mais elle touchait en particulier les enfants avec un risque de paralysie définitive des membres inférieurs. Un élément capital dans un contexte de sortie de Seconde Guerre mondiale et de début de Guerre froide

Longtemps prévalente dans les manuels scolaires, cette didactisation qui procède par réduction débouche sur des visions caricaturales de la réalité. Que ce soit le vaccin contre la poliomyélite, l’hépatite B ou le papillomavirus, chaque vaccin s’est développé dans un contexte historique particulier auquel il convient de s’intéresser.

C’est l’un des intérêts précieux de ces recherches en sciences sociales focalisées sur les avancées scientifiques : raconter moins « un accroissement progressif des connaissances bénéfique pour l’humanité, qu’une histoire plus complexe et plus accidentée, dont la compréhension est utile à l’avenir » (6).

En retraçant l’histoire de la vaccination se dessine en filigrane une idée sur l’hésitation vaccinale : tous les vaccins ne suscitent pas la même hésitation vaccinale.

 

Des vaccins, des hésitations vaccinales

« Un enseignant qui aborde la question des vaccins est déjà peut être en train de se tromper. C’est peut-être la question de différents vaccins – vaccin par vaccin que l’on doit aborder » propose Olivier Morin.

L’histoire montre en effet que tous les vaccins n’ont pas suscité les mêmes réactions à travers le temps mais aussi à travers les frontières. Certaines résistances à la vaccination se révèlent par exemple comme des réactions contestataires d’une administration et d’un état considérés comme autoritaires. Résistances parfois exacerbées lorsqu’il s’agissait d’une puissance étrangère comme ce fut le cas dans certaines colonies (7).

Ainsi, la vaccination imposée de manière autoritaire en Egypte par le pacha Mohammed Ali en 1837 – les administrateurs du vaccin se voyaient tenus personnellement responsables de la bonne marche de la vaccination – rencontre une vive contestation. A la même époque en Angleterre, la vaccination obligatoire s’accompagne d’amendes et de peines d’emprisonnement en cas de désobéissance, déclenchant de violentes manifestations. La répression qui s’en suivit fut si dure que l’émoi provoqué amena le gouvernement à abroger la loi.

Certaines réactions face à un vaccin soulignent aussi le rapport que nos sociétés entretiennent avec les sciences. Dans le milieu des années 90, la crise de l’hépatite B en France entraine un arrêt de la campagne de vaccination. Des scientifiques alertent sur l’augmentation du nombre de cas de sclérose en plaque en le corrélant au nombre de vaccinations. Pourtant aucun lien de causalité n’a été formellement établi. Or, corrélation n’est pas causalité rappelle Baptiste Baylac-Paouly, tout comme le rappelle, sur un ton humoristique, Tyler Vigen. De la même façon, l’affaire Wakefield – qui s’est révélée être une fraude scientifique – a répandu l’idée d’un lien entre vaccination et autisme (8).

L’approche complémentaire entre la didactisation des savoirs et l’histoire des sciences prouve ainsi toute sa pertinence, et montre que la science révèle peut-être moins des vérités que des modèles explicatifs de la réalité. « Les savoirs sont construits dans un contexte historique et dans une histoire des sciences et de la pensée. Il nous paraît essentiel de comprendre cela lorsque l’on veut aborder ces questions socialement vives et développer l’esprit critique » ponctuent les deux chercheurs.

 

Se former par la recherche…

Pour appréhender la façon dont les savoirs se construisent, le mieux reste de se former par la pratique. Olivier Morin, lui-même ancien enseignant de SVT avant de devenir chercheur en didactique, en est convaincu. C’est pourquoi le projet CEHVAC intègre deux acteurs importants à son projet : les étudiant(e)s et les enseignant(e)s.

Des étudiantes et étudiants de Master en première et en deuxième année des filières DDS (Didactique des sciences — Département Éducation et humanités numériques (ens-lyon.fr)), Live (LIVE Master Erasmus – Home (univ-lyon1.fr)) , MEEF SVT (Préparation au CAPES de sciences de la vie et de la terre : Fiche Parcours : Offre de formation (univ-lyon1.fr) , participent ainsi à travers leur formation au mémoire de recherche à alimenter les connaissances sur la question de l’hésitation vaccinale.

Les chercheurs travaillent également avec trois enseignants au collège Louis Aragon de Mably (Loire) dans le cadre d’un partenariat avec un réseau de Lieux d’Education Associés (LEA). L’objectif : mettre en relations enseignants et chercheurs pour répondre à un problème de terrain lié à l’éducation sous la forme d’une recherche participative. A travers des séquences et des situations de classe, ils co-construisent des ressources pour aborder par exemple la poliomyélite en histoire ou la vaccination contre le papillomavirus en SVT.

« Nous construisons des grilles d’analyse pas seulement du point de vue de la recherche, mais qui intègrent aussi le regard des enseignants de terrain. D’une année à l’autre, nous veillons à bien tester ces outils dans diverses conditions pour préciser ce qu’ils apportent et ce qu’ils n’apportent pas » explique Olivier Morin. L’objectif étant d’aboutir à des ressources transférables à des enseignant(e)s de diverses disciplines travaillant avec des classes de divers niveaux scolaires.

Cette démarche s’inscrit dans un renouvellement plus général de la formation des enseignants, avec la prise de conscience progressive – bien que différenciée selon les disciplines – que la recherche doit trouver sa place dans cette formation. En ce sens, un autre projet démarrera ainsi au S2HEP en 2021 réunissant un groupe d’enseignants en formation continue. Ils seront associés à des projets du laboratoire autour de la thématique « pandémie et vaccination » et de la place à donner à l’utilité, les enjeux et les débats en classe de SVT.

Par ailleurs, Un atelier exploratoire organisé en partenariat avec l’ENS intitulé « Circulation des savoirs et récits de sciences : la vaccination » croise les regards de différents acteurs de différentes disciplines autour de cette thématique.

 

… pour construire un autre rapport aux sciences

Par ce projet de recherche collaboratif, Olivier Morin et Baptiste Baylac-Paouly démontrent toute la pertinence d’une recherche en sciences sociales sur les questions de société relatives aux savoirs scientifiques. Ceux-ci restent valides dans un contexte social, politique et historique déterminé. Il ne s’agit de se limiter à « écouter ceux qui savent », mais de travailler dès le plus jeune âge une forme émancipée et critique de rapport au savoir.

Dans une société ou les sciences et la technique ont acquis une place prépondérante, cette démarche apparaît essentielle au développement d’une éducation scientifique, citoyenne et politique.

 

Pour aller plus loin

(1) Laboratoire Sciences, Société, Historicité, Éducation et Pratiques (S2HEP – Université Claude Bernard Lyon 1). Voir le site Web

(2) Le Figaro Santé (09/02/2017) Anne-Marie Moulin : «La vaccination a toujours connu des crises»

(3) Libération (19/09/2019) Hésitation vaccinale : la France championne du monde ?

(4) Peretti-Watel, P., Larson, H. J., Ward, J. K., Schulz, W. S. & Verger, P. Vaccine hesitancy: clarifying a theoretical framework for an ambiguous notion. PLoS Curr.  Vaccine hesitancy: clarifying a theoretical framework for an ambiguous notion – PubMed (nih.gov) (2015)

(5) Les Echos (23/04/2014) : Jeremy Ward : « Les opposants aux vaccins constituent un ensemble très hétérogène »

(6) Moulin, A. M. (2007). Les vaccins, l’état moderne et les sociétés. médecine/sciences, 23(4), 428-434.

(7) Premiers vaccins, premières réticences, Anne-Marie Moulin, Pour la Science (Octobre 1999)

(8) https://darryl-cunningham.blogspot.com/2010/05/facts-in-case-of-dr-andrew-wakefield.html

 

Vu ailleurs à Lyon 1

Pourquoi la vaccination fait-elle peur ? Un débat organisé par la BU Lyon 1

1 commentaire pour “L’hésitation vaccinale, comment en débattre à l’école ?”

  1. Le doute ne doit profitez qu à ceux qui se sont posés milles questions sur chaque vaccin( comparaison des courbes épistémologiques avec lancement des vaccinations par exemple) et jamais pour ceux qui sont pour….sans jamais se poser de questions. J ai un doute sur ouverture des sciences.
    Bien à vous

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