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Garder la motivation dans le sport, un combat de l’intérieur

Dans la recette des grands champions, la motivation est essentielle. Comment la nourrir et la garder à long terme ? Aujourd’hui les recherches en psychologie sociale apportent des réponses. Plus qu’une affaire de passion, c’est surtout une question intime qui nous fait réfléchir aux raisons de notre engagement dans le sport, mais aussi une question d’environnement sportif.

Qu’est-ce qui fait que l’on continue de s’engager dans le sport ? La question n’a l’air de rien, mais constitue un facteur clé de la réussite des grands sportifs. Pour côtoyer le sommet de sa discipline, le chemin est long et ardu. Les entraînements intensifs physique et mental, la pression d’une compétition de haut niveau, les défaites difficiles, les blessures, l’exposition médiatique . Les raisons d’abdiquer ne manquent donc dans ce milieu extrêmement exigeant. Alors qu’est-ce qui les pousse à continuer à se dépasser ?

« Les champions ne naissent pas dans un gymnase. Les champions naissent à partir de quelque chose qu’ils ont au plus profond d’eux-mêmes », clamait Muhammad Ali. Aujourd’hui, les recherches en psychologie du sport semblent conforter l’intuition de cette légende de la boxe.

L’auto-détermination, la clé de l’engagement

Se sentir en forme, en bonne santé, se sociabiliser, se dépasser, améliorer son physique, aimer le frisson de la compétition. Les raisons de pratiquer une activité sportive sont multiples, encouragée par l’école, les messages de santé publique, la médiatisation du sport. Selon une étude de l’Insee, 82% des adolescents (13-14 ans) faisait du sport au moins une fois par semaine en 2020, dont 59% avec une pratique assidue. Seulement, plus l’âge avance, plus ces chiffres baissent pointe l’étude.

Selon Emma Guillet, psychologue et chercheuse au Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport (L-ViS) , un élément déterminant dans l’investissement à long terme dans une pratique sportive ou une activité physique, c’est la qualité de la motivation, qui doit amener vers l’auto-détermination.

Théorisée par deux chercheurs américains en psychologie sociale et de l’éducation, l’auto-détermination est une motivation intrinsèque qui nous pousse à faire les choses spontanément et par choix. À l’inverse d’un engagement qui serait principalement basé sur des injonctions (récompense ou punition, comparaison, pression sociale, recherche de l’approbation d’un tiers).

Or, sans motivation intrinsèque, on va plus rapidement baisser les bras face à la difficulté, un changement, ou lorsque qu’on manque d’organisation structurée, observe la chercheuse, tandis qu’une personne auto-déterminée s’accommodera mieux de ces difficultés. Les autodidactes sont une bonne illustration d’auto-détermination, n’ayant pas la nécessité d’avoir quelqu’un au-dessus d’eux pour s’engager dans une pratique.

Si l’on on ne fait pas les choses uniquement par motivation intrinsèque, il est donc nécessaire de se poser la question : pourquoi je m’engage ? Dans ce cadre, apprendre pour soi, être convaincu du bien-fondé d’activité physique, se dépasser, prendre plaisir dans l’effort, favorisent le développement d’une qualité motivationnelle plus résiliente, soutient la chercheuse.

 

L’auto-détermination, pas une évidence chez les sportifs

« Chez les sportifs, l’auto-détermination se révèle dans leur capacité à faire face dans les moments où tout va mal » observe Emma Guillet. Usain Bolt, disqualifié en finale des mondiaux d’athlétisme qui revient encore plus fort l’année suivante ; Rafaël Nadal qui continue de performer après de multiples blessures, Martin Fourcade qui redevient champion du monde après un burn-out. Ces grands sportifs ont sans l’ombre d’un doute des motivations intérieures extrêmement fortes ayant contribué à les amener aux sommets du sport.

Pour autant, tous les sportifs de haut niveau ne fonctionnent pas à l’auto-détermination, souligne la chercheuse. L’environnement extrêmement exigeant, l’épuisement physique, la sphère médiatique qui les entoure s’avèrent parfois délétère pour les athlètes, entraînant sentiment de saturation, envie d’abandon temporaire, burn-out…

« Je pensais ne plus avoir ma place, ça n’allait vraiment pas. C’est pour ça que je me suis dit que le mieux était d’arrêter, qu’il y avait d’autres choses… Je m’intéressais au Cirque du soleil à l’époque, une façon de rester dans l’artistique, mais de façon différente », avouait la gymnaste Marine Boyer dans article de France info. De la même, façon, Matthieu Androdias, champion olympique d’aviron, décrit cette perte de sens dans le sport qui l’anime : « Quand on a réussi, on ne s’attend pas à recevoir une claque pareille. On se retrouve sans rien, tout est fade. Et là arrivent les questions existentielles de la vie, c’est là où ça craint. Pourquoi je fais tout ça ? Ça sert à quoi de vivre ? »

Un mal être dans le milieu du sport de plus en plus mis en lumière par les sportives et sportifs. Comment se relever et garder la motivation quand on est passé par ces états. L’environnement joue alors un rôle crucial.

« L’auto-détermination est un processus multi-factoriel, mais un climat propice à l’autodétermination valorise la collaboration, la co-organisation, la co-décision, plaçant la personne active au centre du dispositif, plutôt qu’une culture du contrôle, des règles autoritaires et une prise de décision qui ne relève pas de l’individu. Inculquer l’auto-détermination est une éducation qui passe par les proches, les parents, les enseignants et les encadrants », poursuit la chercheuse.

Pourtant, à l’image de grandes institutions comme l’école ou le monde du travail, le milieu sportif ne favorise pas spontanément cette culture de l’auto-détermination. En particulier auprès des filles et des femmes.

Une question d’individu mais aussi de société

L’organisation et la structuration du sport en France reste peu favorables à la pratique féminine du sport, renvoyant à différents niveaux d’influence. D’un point de vue socio-culturel, les stéréotypes de genre associent encore les femmes à la bienveillance, le care, la coopération, tandis que les hommes sont plutôt renvoyés à la compétition, l’indépendance, l’agressivité. L’organisation sociétale renvoie aussi davantage les femme à la famille (temps consacré aux enfants, aux tâches domestiques), et les inégalités salariales à diplôme équivalent sont encore une réalité pour beaucoup de femmes, leur laissant moins de temps et de moyens à consacrer à la pratique sportive. Cette réalité est manifeste lorsque l’on s’intéresse aux entraineuses : des femmes bien souvent célibataires et sans enfant, observe Virginie Nicaise.

Pour celles qui arrivent malgré tout à s’engager dans le sport, en particulier dans des sports considérés comme traditionnellement « masculins », le combat est loin d’être gagné. Le sentiment d’être constamment contestée, stigmatisée, sujette à des comportements sexistes est bien réel dans ce milieu, comme l’a exposé Béatrice Barbusse dans son ouvrage Du sexisme dans le sport. Assurément, ces freins entachent la confiance en soi et la motivation, nourrissant de nouvelles stigmatisations au niveau individuel – « les femmes ont moins envie de faire du sport ».

Or, « toutes les interventions de promotion de la pratique ciblent le niveau individuel sans comprendre les différentes étapes d’influence. Mais, quand on prend connaissance de tous ces différents obstacles, comment se motiver à la pratique sportive ? », déplore Virginie Nicaise.

De quoi nous interpeler sur les modèles que renvoie de grandes institutions comme l’école, le monde du travail, ou de la santé.

Car au-delà du domaine du sport, cette quête de l’auto-détermination peut s’intégrer dans le quotidien pour favoriser un mode de vie « actif », où l’individu s’engage pour des raisons qui lui sont propres, et non par seule injonction. « C’est une réflexion personnelle, et une philosophie de vie, de comprendre pourquoi on s’engage dans telle ou telle pratique. L’entourage y joue un rôle important et doit pouvoir être formé pour favoriser l’auto-détermination, notamment dans les domaines du sport, du soin, de l’éducation », conclue Emma Guillet.

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