A quoi pensent les bébés ? C’est la question que n’importe quel parent s’est certainement déjà posée un jour. C’est aussi une question que se posent au quotidien les chercheurs en neurosciences du Baby-lab de l’Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod. Découvrez cette structure qui explore l’esprit des nourrissons.
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Charlie promène son regard éveillé autour de lui. Il s’agite quelques secondes sur les genoux de son père avant de laisser échapper un gémissement, puis tourne son regard vers la personne qui tient l’appareil photo. Que se passe-t-il dans sa tête pendant ce temps-là ? Difficile à dire. Mais aujourd’hui, les avancées en neurosciences cognitives permettent de sonder toujours mieux l’esprit des nourrissons.
Le cerveau des bébés, des ardoises gribouillées
On a longtemps pensé que les nouveau-nés venaient au monde vierges de toute connaissance. Leur développement rapide – qui ne manque de faire l’émerveillement des parents – serait avant tout dicté par leur expérience sensorielle du monde. Ce paradigme posé par Jean Piaget dans la première moitié du XXème siècle définissait ainsi des périodes clés du développement de l’enfant. On pensait alors que ce dernier n’était pas capable de réaliser certaines tâches avant un âge précis. Par exemple, se représenter un objet qui disparait – dans le cas contraire, en quelque sorte l’objet n’existe plus pour l’enfant. Or, des études ont montré que les nourrissons démontraient cette capacité dès 5 mois, bien plus tôt que ce que prédisait le modèle de Piaget.
Au cours de ces dernières années, les progrès de la recherche en neurosciences cognitives ont largement contribué à remettre en question ce modèle de développement guidé avant tout par l’acquis. Loin d’être des ardoises vides, les bébés possèdent déjà dès leurs premiers mois de vie un certain nombre de « connaissances » qui n’ont pas nécessité d’expérience préalable.
A l’Institut Marc Jeannerod, Jean-Rémy Hochmann et Liuba Papeo sont justement spécialisés dans la cognition des nourrissons. Au sein d’une structure spécifique appelée un « baby-lab », ils en étudient les différents aspects. « Il existe plusieurs baby-lab en France. Chacun a ses spécificités. A Lyon, nous nous intéressons à la cognition dite de haut-niveau : le langage, le raisonnement et la cognition sociale, des facultés cognitives uniques ou particulièrement développées chez les humains » explique ce chercheur.
Une sonde pour savoir à quoi pensent les bébés
Mais comment accéder aux représentations mentales des bébés ? Car entre 4 et 18 mois, impossible de s’appuyer sur le langage pour communiquer avec eux. Et à ce stade, leurs fonctions motrices ne sont pas encore très développées. A l’exception d’une fonction, éveillée elle quasiment dès la naissance : le regard.
En s’appuyant sur des techniques d’oculométrie et de pupillométrie, les chercheurs déterminent où le bébé pose son regard, quand, pendant combien de temps et mesurent des paramètres physiologiques comme la dilatation de la pupille. Autant d’indicateurs qui se révèlent fiables pour mesurer les réponses du nourrisson à différents types de stimuli (principalement visuels et auditifs) et en tirer des informations sur l’état de sa cognition.
L’équipe de Jean-Rémy Hochmann explore notamment chez les bébés les concepts de « même » et « différent ». Ces concepts ont la particularité d’être abstraits. Or, la capacité à représenter des concepts abstraits est souvent considérée comme dépendante du langage, et par conséquent absente chez de jeunes nourrissons.
Sur l’un des tests qu’ils ont mis au point, le bébé visualise tantôt deux objets identiques, tantôt deux objets différents. Ensuite un bonhomme apparait à l’écran : dans le premier cas, il se déplace vers la gauche, dans le deuxième cas vers la droite. Après quelques essais, les chercheurs observent que le bébé dirige son regard avant même que n’apparaisse le bonhomme à l’écran. Et ce dès l’âge de six mois.
Afin de limiter les biais et d’avoir des données fiables, les chercheurs doivent redoubler d’imagination pour établir leurs protocoles. D’autant plus que la capacité d’attention des bébés est très réduite à cet âge – les expériences sont très courtes, rarement plus de cinq minutes. « Les protocoles établis au cours des années sont en partie inspirés d’expériences de cognition menées avec des animaux » explique Jean-Rémy Hochmann. Et d’ajouter « que la cognition des bébés est, à un certain stade de développement, peut-être d’ailleurs plus proche de la cognition du singe, ou du pigeon que de celle d’un humain adulte ».
Entre inné et acquis, les neurosciences éclairent le langage
En effet, avant un certain âge, certaines représentations restent inaccessibles aux enfants constate le chercheur. Il en est ainsi de la représentation du concept « tous les mêmes » ou « tous différents ». Il faudra pour cela attendre l’âge de 4 ans. En ce sens, la cognition des bébés avant 4 ans se rapproche de celle d’un pigeon ou d’un babouin, eux-aussi inaptes à exécuter cette tâche.
Pourtant, dès 6 mois les bébés ont une représentation du concept « même », suggérant qu’une transition s’effectue au cours du développement vers l’âge de 4 ans. Pour Jean-Rémy Hochmann, cette transition pourrait s’expliquer par le développement du langage. « C’est vers cet âge que les enfants commencent à maitriser et comprendre les mots même et différent » précise-t-il.
Pour lui, cela pourrait indiquer qu’il existe des « connaissances innées », partagées avec certains animaux, et essentielles à notre développement – et donc aussi notre survie. Ces connaissances innées servent de fondations aux connaissances acquises qui expliquent le développement de capacités cognitives uniques chez l’être humain, notamment par le biais du langage.
De quoi s’émerveiller une nouvelle fois devant le babillage de nos petits marmots !
L’équipe du babylab cherche en permanence de nouveaux jeunes participants ! Alors, si vous avez un bébé né en 2020 ou 2021, n’hésitez pas à les contacter pour participer à leurs études et comprendre ce que nos bébés ont dans la tête !
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Crédits photographies : Eric Le Roux/Direction de la communication de l’Université Lyon 1