“Ce n’est qu’un outil” veut généralement dire “On a du recul, tout est sous contrôle”. Pas si simple.
“Ce n’est qu’un outil” : une petite phrase qu’on entend régulièrement, par exemple dans les discussions à propos de nouvelles technologies.
En général, elle arrive pour dire que la technologie ajoute un “plus” à nos vies mais ne nous transforme pas en profondeur, puisque qu’un outil, on en fait ce qu’on veut.
Et bien les travaux d’une équipe du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon viennent contredire cette idée que nos outils et nous, ça fait deux.
Ce résultat, publié en octobre dans la prestigieuse revue Nature, a été obtenu avec un outil analogique et pas très sophistiqué : un bâton en bois. Mais il peut être extrapolé à des objets bien plus technologiques, vous allez le voir.
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Qu’ont cherché à comprendre les scientifiques ?
Ils ont cherché à comprendre si notre système nerveux peut, ou non, utiliser des éléments extérieurs pour obtenir une information sensorielle, la sensation de toucher par exemple. En d’autres termes, si le cerveau peut intégrer un outil comme un organe des sens.
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Ça fait un peu science-fiction, non ?
En fait c’est largement répandu dans le règne animal. Pensez par exemple aux moustaches de la souris : elle s’en sert pour palper les objets qu’elle rencontre. L’araignée, elle, localise ses proies grâce à sa toile.
Est-ce que nous autres, êtres humains, possédons cette capacité de “sentir” les choses à travers des éléments extérieurs ? C’est la question que s’est posé cette équipe de neurosciences lyonnaise. Et la réponse est oui !
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Comment est-ce que cela fonctionne ?
En fait, il semblerait que le cerveau humain traite les outils que l’on utilise comme s’ils étaient des extensions sensorielles de notre propre corps.
L’équipe de neuroscientifiques propose d’appeler ce phénomène “perception étendue par les outils“. Mais laissez-moi vous raconter comment ils en sont arrivés à ce résultat.
Dans un premier temps, les chercheurs ont demandé à des volontaires de tenir à la main un bâton de bois. Ils leur ont bandé les yeux, et ont frappé tantôt le bâton, tant le bras des volontaires, qui devaient dire où était tombé le coup.
Les volontaires localisaient aussi précisément l’impact sur le bâton que l’impact sur leur propre bras… comme si le cerveau de ces volontaires avait en quelque sorte incorporé le bâton dans leur schéma corporel.
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Comment est-on sûr que le cerveau a bien incorporé ce bâton ?
Dans une autre série de tests, l’équipe a modélisé (c’est-à-dire reproduit par ordinateur) les réponses du cerveau aux vibrations du bâton.
Nous possédons ce qu’on appelle des mécano-récepteurs, c’est-à-dire des neurones sensoriels de la peau. L’équipe de recherche a ainsi observé que ces mécano-récepteurs sont capables de déchiffrer très précisément les vibrations du bâton. Aussi bien que s’il s’agissait de vibrations sur le bras…
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Les volontaires ne faisaient plus qu’un avec l’outil
C’est en tout cas l’explication que propose l’équipe lyonnaise de recherche en neurosciences, dont les travaux ouvrent tout une nouvelle perspective sur la manière dont nous incorporons, par exemple, les prothèses.
C’est en effet un angle mort de la plupart des débats sur les nouvelles technologies, et en particulier le transhumanisme, ces technologies d’amélioration de l’être humain par l’usage de prothèses ou d’implants.
Dans ces débats, tout se passe comme si la technologie était transparente, c’est-à-dire que nous allions pouvoir l’utiliser sans effort et sans en être nous-mêmes transformés. Comme un simple “plus”, sans effets secondaires ni efforts particuliers.
Cela fait longtemps que les philosophes nous invitent à relativiser cette promesse d’une technologie d’augmentation facile, en nous alertant sur le fait qu’un outil n’est jamais “seulement un outil”.
Et aujourd’hui, pour la première fois, des recherches en neurosciences éclairent de l’intérieur même du cerveau notre rapport aux outils : nous ne nous contentons pas de les utiliser, nous les faisons nôtres.
L’homo sapiens est un homo technologicus, un être qui créé des technologies qui, à leur tour, contribuent à le façonner.
Ce que cette recherche nous invite à repenser, c’est finalement notre rapport aux technologies. Nous les créons, mais ensuite elles nous habitent, pour le pire ou pour le meilleur…
Pour aller plus loin
Sensing with tools extends somatosensory processing beyond the body, Luke E. Miller, Luca Montroni, Eric Koun, Romeo Salemme, Vincent Hayward & Alessandro Farnè, in Nature volume 561, pages 239–242 (2018)
DOI 10.1038/s41586-018-0460-0
Cette chronique a été diffusée dans la pastille « Dis Pourquoi ? » du 16/10/2018 sur RCF Lyon
Bonjour,
Ma chienne est affectée de troubles épileptiques.
A de nombreuses reprises, ma chatte qui dort à coté de moi, juste au dessus de l’endroit où dors ma chienne, m’a averti du démarrage d’une crise épileptique, juste au moment où les convulsions commerçaient.
Il me semble que mon chat est un très bon capteur de micro-signaux cérébraux. Il semble bien meilleur que les modules électroniques…
Existe-t-il des travaux de recherche sur la façon dont les chats perçoivent les signaux de l’épilepsie ?