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« Œuvrons à un meilleur usage des antifongiques pour les patients »

« Œuvrons à un meilleur usage des antifongiques pour les patients »

Les infections fongiques invasives sont des maladies peu connues qui se développent à l’hôpital chez des patients déjà fragilisés par une maladie sous-jacente (cancer, forme sévère de Covid-19…). Leur traitement par des antifongiques est indispensable à la survie des personnes atteintes. À Lyon, des chercheurs et praticiens travaillent à en optimiser l’usage pour assurer les meilleurs soins aux patients et éviter les risques de résistance aux antifongiques.

Par Matthieu Martin. Publié le 31/01/2023

Infections fongiques invasives - antifongiques
Candida albicans - © Jon Houseman

Les infections fongiques sont très répandues au sein de la population générale. Le plus souvent bénignes, elle se traitent par antifongiques locaux – comme les mycoses superficielles. Mais dans certains cas, les infections fongiques sont invasives et particulièrement graves pour les patients. Elles sont responsables de près d’1,5 millions de morts chaque année dans le monde. Leur progression en milieu hospitalier a amené les praticiens à leur porter une attention particulière. En effet, 4 pour 1000 patients hospitalisés développent une candidose invasive et pendant l’épidémie Covid-19, ce sont environ 3% des patients admis en réanimation qui ont développés une aspergillose. Si leur prévalence peut sembler faible, c’est parce qu’elles touchent des patients fragiles, des patients admis en réanimation ou immunodéprimés. Or, sans traitement antifongique, ces patients meurent de l’infection dans environ 50% des cas. Quoi qu’il en soit, lever le poids de l’infection fongique invasive permet de lever le poids de la maladie sous-jacente. Mais encore faut-il administrer le bon traitement. C’est toute la difficulté reconnait Anne-Lise Bienvenu. « Nous devons œuvrer pour les patients à une utilisation optimale des antifongiques », soutient cette pharmacienne des Hospices Civils de Lyon et chercheuse à l’Institut de biochimie moléculaire et supramoléculaire (ICBMS).

 

Les infections fongiques invasives

Tout comme les bactéries ou les virus, nous interagissons en permanence avec des champignons. Nous respirons constamment des Aspergillus et les Candida font partie intégrante de notre microbiote intestinal. La plupart du temps, cette cohabitation se passe bien. L’infection fongique invasive survient lorsque que cet équilibre est perturbé et que l’agent fongique atteint des sphères inhabituelles de l’organisme. Par exemple au cours d’un séjour en réanimation ou d’une immunodépression, dans le cadre du traitement d’une maladie sous-jacente.

Dans le cas de Candida, une brèche intestinale, un traitement antibiotique ou un cathéter contaminé peuvent favoriser le développement d’une candidose invasive et le passage de la levure dans
le sang. De même, la présence du champignon Aspergillus dans
nos poumons devient problématique lorsque notre immunité est moindre, par exemple suite à la prise de corticoïdes ou autres
immunosuppresseurs. Le champignon, en se disséminant dans le parenchyme pulmonaire, peut conduire à une aspergillose invasive.

« Il faut prévenir les problèmes de résistances que l’on rencontre actuellement pour les antibiotiques , car le panel des antifongiques disponibles est réduit »

Le bon antifongique au bon moment

Les infections fongiques invasives sont difficiles à traiter. Elles nécessitent de trouver un équilibre entre traitement antifongique et traitement de la maladie sous-jacente. En effet, pour être efficace, un antifongique mobilise le système immunitaire. Or, dans certains cas la suppression de l’immunité du patient est indispensable lorsqu’on traite par exemple des maladies hématologiques ou certains cancers. Quoi qu’il en soit, sans traitement antifongique, le risque de mortalité des patients est très élevé. Mais encore faut-il administrer le bon antifongique et à la bonne dose sous peine d’être inefficace.

Autre élément critique, le temps. Il est indispensable d’administrer l’antifongique rapidement. Or, l’analyse de l’agent fongique pathogène prend du temps, souligne Anne-Lise bienvenu. « La levure Candida va pousser en 24 à 48 heures. Et il faut 24 à 48h supplémentaires pour connaître la sensibilité de l’agent fongique au traitement ». Un délai trop long pour des patients dont l’état est déjà critique. C’est pourquoi une stratégie thérapeutique dite « empirique » consiste à administrer rapidement un antifongique considéré comme efficace sur de nombreuses espèces de champignons, et à ajuster le traitement ensuite en fonction des résultats biologiques. Comme le souligne la pharmacienne, utiliser le bon antifongique pour le bon patient permet de limiter le risque de surmortalité, mais également de prévenir l’émergence de la résistance aux antifongiques. « Il faut prévenir les problèmes de résistances que l’on rencontre actuellement pour les antibiotiques, car le panel des antifongiques disponibles est réduit. En attendant le développement de nouvelles classes antifongiques, préservons l’efficacité des molécules actuelles par leur juste prescription » soutient-elle.

Depuis la pandémie covid-19, les hôpitaux sont maintenant en grande majorité équipés des outils de diagnostic moléculaire. Pour Anne-Lise Bienvenu, il faut développer leur usage dans le cas des infections fongiques invasives, afin d’identifier dans l’ADN du pathogène des gènes de résistance. Cela permettrait de mieux cibler les antifongiques efficaces et plus rapidement.

Un traitement antifongique optimal pour tous les patients

Aujourd’hui, il s’agit d’aller vers une prise en charge optimale et personnalisée des patients atteints d’infections fongiques invasives. C’est dans cette optique qu’Anne-Lise Bienvenu développe aux Hospices Civils de Lyon, en collaboration avec des cliniciens, des pharmaciens et la Direction des Services Numériques un outil d’aide à la décision pour le traitement des mycoses invasives.

Cet outil permet aux cliniciens d’accéder rapidement aux résultats du patient nécessaires à sa décision thérapeutique, ainsi qu’aux ressources documentaires relatives au traitement des mycoses invasives. « En développant ce type d’outil, nous garantissons un traitement optimal et ciblé pour tous les patients, afin d’augmenter les chances de succès thérapeutique » affirme celle qui s’est vu remettre en décembre 2022 le prix international du bon usage des médicaments par l’Académie nationale de Pharmacie. Et de conclure : « il y a vraiment cette dynamique de partage. Le bon usage des antifongiques, c’est avant tout un travail d’équipe pluriprofessionnelle dont le seul objectif est la pertinence du soin au bénéficie du patient ».

Un outil d'aide à la décision pour le bon usage des antifongiques

Cet outil, qui a reçu le soutien de la Direction de l’Innovation des Hospices Civils de Lyon, est en cours d’expérimentation dans des centres hospitaliers de la région. Il sera déployé dans d’autres établissements de santé pour permettre une équité de prise en charge de tous les patients. Une réflexion a d’ailleurs été engagée à ce sujet avec les représentants des usagers.

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