Pollution de l'air : un projet sur les émissions de particules ultrafines des véhicules en conditions réelles
Le projet EASVOLEE a pour objectif d’évaluer la contribution réelle des véhicules thermiques à la pollution de l’air aux particules ultrafines, reconnues comme les plus néfastes pour la santé. Pour ce faire, les scientifiques se placent en conditions réelles de conduite, en équipant des véhicules d’appareils physico-chimiques destinés à collecter les gaz d’échappement, simuler la chimie atmosphérique où se forment les particules ultrafines et les étudier.
Un article par Matthieu Martin, le 17/07/2024
De l’extérieur, il peut s’agir d’un bus comme les autres. Suivant le parcours habituel de la ligne 89 du réseau TCL à Lyon, il s’arrête à chaque station, seulement il ne prend aucun voyageur. Et pour cause, tous l’espace du bus ou presque est occupé, non par des passagers, mais par des appareils de mesure sophistiqués. Sous la supervision d’une équipe scientifique, tout cet attirail sert à mesurer les émissions de particules fines particulièrement néfastes pour la santé, et simuler ce qu’il se passe ensuite dans l’atmosphère. Le tout dans dans des conditions réelles de circulation. Une première scientifique mondiale.
Une pollution atmosphérique aux particules ultrafines
Pendant des siècles, on a longtemps considéré la fumée visible (carbone, suie) issue de la combustion comme la seule source de pollution atmosphérique. Mais depuis le milieu du XXe siècle, on sait que d’autres particules invisibles à l’œil nu contribuent également à la pollution de l’air. Des particules notamment produites par les véhicules thermiques, dont certains gaz d’échappement créent, par réaction chimique dans l’atmosphère, des aérosols organiques dits « secondaires ».
De nombreuses études pointent aujourd’hui les effets néfastes sur la santé humaine de ces particules ultrafines. Elles s’avèrent particulièrement dangereuse en raison de leur taille (1µm ou moins). Se comportant souvent différemment à l’échelle nanométrique dans l’organisme, elles peuvent se déplacer vers différents organes du corps. Par ailleurs, ces aérosols jouent un rôle essentiel dans le bilan radiatif de la Terre, et affectent donc le climat.
Or, d’après les scientifiques, la majeure partie de la population urbaine mondiale vit dans des environnements où les niveaux de particules fines PM2,5 sont régulièrement malsains. En France, l’Anses estime que 48 000 décès prématurés par an sont en lien avec la pollution atmosphérique aux particules fines PM2,5, ces chiffres s’accentuant dans les zones de plus de 100 000 habitants.
La réglementation dans l’air ambiant impose une surveillance constante des niveaux de particules de taille inférieure à 10 et 2,5 µm. Pour autant, leur composition et la contribution réelle du trafic routier à la production de ces aérosols, si elle ne fait aucun doute, restent mal cernée. « Les scientifiques manquent d’information sur les émissions d’aérosols secondaires issues des véhicules thermiques routiers et non-routiers », résume Christian George, directeur de recherche CNRS à l’Institut de recherches sur la catalyse et l’environnement de Lyon (IRCELYON) et responsable du projet EASVOLEE.
Le projet EASVOLEE, pour mesurer la pollution de l'air induite par le parc automobile européen
C’est dans le but d’évaluer le rôle réel du transport routier dans l’émission de gaz précurseurs de particules ultrafines qu’a démarré le projet EASVOLEE (Effets des émissions semi-volatiles des moteurs sur la qualité de l’air). Réunissant un consortium de huit partenaires européens, dont des chercheurs à l’IRCELYON, ce projet s’est fixé pour objectif de tester tous les types de véhicules représentatifs du parc automobile européen, allant du deux roues à la voiture citadine, du bus au poids lourd et aux véhicules agricoles.
Afin d’opérer au plus proche de la réalité quotidienne, une équipe scientifique d’IRCELYON a ainsi équipé un bus de près de deux tonnes d’instrumentation. Une prouesse technique réalisée avec l’aide de l’équipe scientifique du CRMT, une société d’ingénierie lyonnaise spécialisée dans les véhicules à carburants alternatifs et qui réalise des mesures des émissions polluantes sur véhicules.
Les techniciens du CRMT installent les équipements de mesures, ainsi que les bouteilles de gaz dans le bus
L’équipe technique assure l’installation et le calibrage des instruments, de manière à supporter les fortes vibrations induites par la conduite. Des modifications sont directement opérées sur le véhicule dans l’optique des mesures qui seront réalisées en conduite.
Simuler de la chimie atmosphérique et la production d’aérosols secondaires
Pour être au plus près de la chimie qui a lieu en sortie d’échappement, un instrument de pointe embarqué, muni d’un réacteur photosensible, simule la chimie atmosphérique pour évaluer la formation des aérosols secondaires. « En temps normal, les aérosols mettent entre quelques heures et quelques jours pour se former. Grâce à notre instrument, on accélère la chimie de l’air pour suivre les mesures quasiment en temps réel », explique Amira Jabbari, post-doctorante CNRS à l’Ircelyon l’IRCELYON.
Ainsi, les scientifiques sont capables de caractériser pendant le trajet l’émission de ces aérosols secondaires selon le type de conduite, la vitesse du véhicule, le type de route. « Nous avons établi deux parcours. Un parcours normatif comprenant une partie urbaine, extra urbaine et sur autoroute et un parcours d’utilisation sur la ligne 89, afin d’évaluer les émissions d’aérosols secondaires en tenant compte de toutes les situations possibles », précise Yassine Azizi, docteur et ingénieur en catalyse et dépollution automobile au CRMT.
C’est d’ailleurs un technicien du CRMT qui assure la conduite du bus. Une collaboration entre un laboratoire de recherche et une PME qui s’avère complémentaire et indispensable pour réaliser un tel projet, souligne Christian George.
Le Bus est en circulation sur la ligne 89. Antoine du CRMT est au volant, tandis qu’Amira supervise le bon fonctionnement des instruments.
Des mesures embarquées à travers l’Europe
Tout comme la collaboration à l’échelle européenne, ajoute-il. Ainsi, les gaz collectés à l’échappement sont ensuite analysés pour étudier le devenir de ces aérosols dans l’atmosphère, une fois formés. Les scientifiques espèrent ainsi sonder plus finement la quantité d’aérosols secondaires produits par les véhicules thermiques, mais peut-être aussi identifier de nouvelles familles de particules fines jusque-là passées sous les radars.
Les condensats obtenus feront aussi l’objet d’analyses toxicologique, en partenariat avec des scientifiques grecs, afin de mieux caractériser leur toxicité pour la santé humaine.
Alors que le parlement européen a acté la fin de la vente de véhicules neufs à moteur thermique en 2035, la pollution atmosphérique issue du parc automobile n’est pour autant pas prête de s’estomper. Ces travaux doivent alors permettre de mieux saisir la contribution du trafic routier européen à la pollution atmosphérique, son impact pour la santé humaine et environnementale. Avec l’objectif à long terme d’impacter de futures législations, notamment dans le cadre du Pacte vert européen qui stipule des normes de qualité de l’air plus strictes et des objectifs pour les polluants particulaires, en attendant la transformation du parc automobile et de nos modes de transport.
Le projet EASVOLEE réunit 8 partenaires : Hellas Institute of Chemical Engineering Sciences (Grèce), le CNRS, l’Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique appliquée, l’Institut météorologique norvégien, le CRMT,l’Institut Paul Scherrer (Suisse) et la Haute école spécialisée bernoise (Suisse).
Ressources
EASVOLEE : un projet européen sur les émissions de particules ultrafines, actualité INC CNRS
Rapport de l’ANSES, Particules de l’air ambiant extérieur
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Crédits photographies : Éric le Roux / Dircom UCBL.