Pour répondre aux défis de l’urbanisme face au changement climatique, Lucie Merlier modélise les écoulements d’air en ville et bâtit des ponts entre disciplines.
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A quoi ressembleront nos villes à l’été 2100 ? Verrons-nous les centres-villes complètement désertés en raison de trop fortes températures dues aux vagues de chaleur et aux îlots de chaleur urbains (1) ? Dans un scénario plus optimiste, nos villes auront peut-être trouvé un meilleur équilibre entre urbanisme, qualité de vie et environnement.
C’est justement dans le sens de ce deuxième scénario que travaille Lucie Merlier. Enseignante-chercheuse au laboratoire CETHIL (2), elle mène des recherches en lien avec les problématiques environnementales dans le domaine du bâtiment et de la ville.
Un problème multi-physique…
Pour étudier les problèmes de chaleur en ville et dans les bâtiments, Lucie Merlier modélise les structures d’écoulements d’air et les échanges de chaleur en milieu urbain. Un mélange de mécanique des fluides et de transferts thermiques. Un véritable défi d’un point de vue scientifique à plusieurs niveaux.
Aux phénomènes de turbulences, notamment induits par les interactions entre le vent et les bâtiments, se combinent des mouvements de convection naturelle et des échanges de chaleur entre l’extérieur et l’intérieur des bâtiments. Des effets de rayonnement, entre autres, influencent également les mouvements d’air.
Cette approche fait donc appel à de nombreuses spécialités de la physique. Un brassage très complexe à intégrer dans une modélisation, dont l’un des enjeux est une meilleure ventilation naturelle des zones urbaines, voire des bâtiments.
La chaleur en ville. Un problème physique très complexe. Crédits Lucie Merlier et Alexander Watson.
…et multi-échelles
A ce problème multi-physique vient s’ajouter un deuxième obstacle : l’échelle d’observation. « Il y a une imbrication d’échelles dans notre objet d’étude et donc nos simulations. L’idée est de pouvoir faire le lien entre ces différentes échelles » affirme Lucie Merlier.
Echelle de temps d’abord. « Lorsqu’on traite de problèmes de chaleur dans un bâtiment, on considère un comportement journalier et saisonnier. Or, la turbulence s’observe sur des temps de l’ordre de la seconde et moins » explique la chercheuse. Simuler dans ces conditions des phénomènes sur une semaine ou une année s’avère complexe.
Echelle d’espace ensuite. Ses modélisations sont à l’échelle d’un bâtiment ou d’un quartier. La chercheuse envisage même à moyen terme des dimensions plus larges, comme la ville. Mais la résolution spatiale doit souvent rester fine pour intégrer les phénomènes essentiels du problème.
Ce couplage multi-échelle et multi-physique constitue un enjeu de recherche pour avoir une modélisation fidèle à la réalité. Or, les scientifiques doivent composer avec des contraintes liées aux capacités informatiques. En effet, avoir des résolutions spatiale et temporelle fines sur des grandes dimensions requiert des moyens et temps de calculs importants.
Or, comme le souligne la chercheuse « le coût environnemental des simulations détaillées n’est pas négligeable. Notre but est donc de comprendre au mieux les phénomènes physiques pour faire des choix de modélisation adaptés aux objectifs, puis des simplifications pertinentes ».
Simulation d’écoulements d’air à l’échelle d’un quartier. Crédits Lucie Merlier.
Au-delà des modèles, la pratique
Au-delà des dimensions physique et numérique, d’autres contraintes sont à prendre en compte pour envisager des villes et des bâtiments plus verts.
Un des objectifs d’application de ces recherches est de concevoir un bâtiment énergétiquement performant. Mais entre performance théorique et performance réelle s’observe souvent une différence significative.
« Pour qu’une solution architecturale ou technique soit performante, il est essentiel que l’utilisateur se l’approprie. Mais plusieurs obstacles peuvent entraver l’appropriation par l’habitant lors de la mise en place : raisons techniques, inadéquation avec ses besoins, ses aspirations ou habitudes … Il est essentiel d’en tenir compte pour une conception réussie » affirme Lucie Merlier.
L’approche technicienne du bâtiment ne suffira donc pas à répondre au défi énergétique (3). Les scientifiques doivent aussi considérer l’expérience utilisateur, ainsi que des objectifs de confort et de santé. La chercheuse s’associe ainsi avec des chercheurs en sciences humaines et sociales, notamment des géographes pour mieux intégrer cette dimension.
L’enjeu de ce travail multidisciplinaire est d’identifier les ingrédients pertinents à intégrer dans les modélisations en fonction de la question posée. « On ne prendra pas les mêmes hypothèses de modélisation si l’on veut étudier la consommation énergétique d’un bâtiment sur une année, le confort en période de vague de chaleur, ou encore les effets sur la santé ».
Des problématiques qui doivent pourtant être traitées ensemble pour éviter les angles morts. Ainsi de la végétalisation des villes, qui participe au rafraîchissement des zones urbaines :
« La végétalisation des rues ou des façades permet de lutter contre les îlots de chaleur, et protège les bâtiments du soleil. Mais cela peut aussi freiner les écoulements d’air et potentiellement limiter la ventilation naturelle. C’est quelque chose à étudier en fonction des objectifs ».
En définitive l’enjeu est de mieux intégrer et coupler les connaissances scientifiques des différentes disciplines pour répondre à cette problématique sociétale.
Bâtir des ponts entre disciplines
Cette approche pluridisciplinaire, Lucie Merlier l’a très tôt intégrée en vue d’aborder les problématiques des bâtiments « verts ». En parallèle et après l’INSA Lyon (département génie civil et urbanisme), elle a suivi une formation pour obtenir le diplôme d’état d’architecte et un master en sciences humaines et sociales.
« Je voulais être en mesure de faire le lien entre les mondes de l’ingénierie et de l’architecture en n’oubliant pas ceux pour qui les bâtiments sont construits. Comprendre leur fonctionnement, voir leurs contraintes respectives et faire en sorte que les projets soient pensés ensemble ». Même démarche aujourd’hui avec l’intégration des sciences humaines et sociales à son projet de recherche.
Bâtir des ponts entre les disciplines et créer un dialogue constructif entre les sciences et la société, c’est l’approche choisie pour apporter des solutions à une problématique incontournable de notre époque.
Sources
(1) La lutte contre les îlots de chaleur urbains est loin d’être gagnée
(2) Centre d’énergétique et de thermique de Lyon (CETHIL – INSA Lyon / Université Claude Bernard Lyon 1 / CNRS).
(3) L’approche technicienne du bâtiment ne suffira pas à répondre au défi énergétique. Le Monde, 19 septembre 2020.
Bonjour,
Votre étude sur la circulation des courants d’air me semble très importante, car il me semble qu’il y a peu d’étude sur ce sujet. La configuration des bâtiments optimise ou pas cette circulation de l’air, ainsi que l’échange de courants d’air chauds ou froids. j’ai une question, pourquoi les sous-sols, qui ont des différences de températures avec la surface, suivant les saisons, et peuvent participer à ces échanges ne sont pas pris en compte par la recherche sur les courants d’air.
Bonjour,
Effectivement une étude très intéressante sur l’évolution de la météo et du climat sur le modèle urbain suffisamment rare pour être soulignée.