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Le leadership des femmes dans le sport, vers plus de parité ?

La nomination de sportives à des postes à responsabilité de gouvernance ou d’encadrement technique peuvent-elles faire bouger les lignes du sport ? La réalité est très contrastée et complexe explique Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, qui s’intéresse à la place des femmes dans le leadership sportif. Un axe encore trop peu investi par la recherche scientifique.

Par Matthieu Martin. Publié le 12/01/2023

Femmes et leadership - Femmes et sport
Amelie Mauresmo & Jonas Bjorkman - Source Wikipédia

En 2014, Corinne Diacre devenait la première femme à entraîner une équipe de football professionnel en France. Depuis, elle a pris la tête de la sélection féminine nationale de football. En 2019, c’est Brigitte Henriquez, ancienne footballeuse, qui se voyait confier la présidence du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) en vue des Jeux olympiques 2024 de Paris. Là encore, une première en France. On pourrait encore citer la nomination d’Isabelle Lamour à la présidence de la fédération française d’escrime, ou celle de Nathalie Péchalat à la fédération des sports de glace. Toutes font figurent de pionnières en accédant à des postes qui, jusqu’à présent dans le milieu sportif, étaient l’apanage des hommes. Une petite révolution alors qu’elles ont longtemps été marginalisées, cantonnées à des sports dits « féminins ». La présence et la médiatisation de ces femmes dans les instances dirigeantes ou de l’encadrement technique peuvent-elles faire bouger les lignes du sport ? Difficile à dire répond l’historienne et spécialiste des questions de genre dans le sport, Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, Maîtresse de conférences à l’Université Lyon 1. Depuis quelques années et suite à une collaboration avec la sociologue Guylaine Demers de l’Université Laval à Québec, cette enseignante-chercheuse s’intéresse à la place des femmes dans le leadership sportif.

Leadership sportif, le levier de la loi

Par leadership sportif, on entend deux choses. D’abord, les positions de responsabilité politique dans les gouvernances (les conseils d’administration ou exécutifs) des fédérations sportives et des organes déconcentrés (lignes et comités). Autrement dit, les postes de dirigeant·es, élu·es qui participent aux décisions liées aux orientations, au développement et à la gestion du sport en France. C’est le cas par exemple de Brigitte Henriquez et d’Isabelle Lamour citées plus haut, ou encore de Nodjialem Myaro (présidente de la ligue féminine de Handball, la LFH en vue de professionnaliser les meilleures joueuses de handball). Ensuite, le leadership sportif concerne aussi les positions de responsabilité dans l’encadrement technique du sport. Comprendre directeur technique, conseiller technique national ou régional, entraineur des équipes de France, etc. Leur rôle est d’accompagner les athlètes dans leur carrière et leur production de performances. On peut citer Amélie Mauresmo (ancienne coach d’Andy Murray), Corinne Diacre, l’actuelle sélectionneuse de l’équipe de France féminine de football ou Martine Dupond, directrice technique de la fédération française de judo.

Mais ces nominations récentes de femmes aux plus hautes fonctions du leadership sportif n’occultent pas le fait que les femmes demeurent massivement sous-représentées à ces postes en France. Notamment dans les fonctions techniques (par exemple, on compte 10% de femmes parmi les entraîneurs nationaux). Du côté des fonctions de gouvernance (politiques), les chiffres montrent malgré tout une réelle progression vers la parité sous l’effet de plusieurs mesures dites de « discrimination positive ». Si en 2009-2012, les femmes occupent 24,7% de sièges au sein des conseils d’administration des fédérations sportives, 10 ans plus tard, elles sont 34,5% à occuper des fonctions de gouvernance, toutes fédérations confondues1.

Sur ce point, Cécile Ottogalli-Mazzacavallo en est convaincue, la loi a été un véritable levier de progression pour les femmes. Elle stipule aujourd’hui la parité à l’échelle des fédérations sportives pour 2024 et à l’échelle des régions pour 2028.

Ainsi, « la France organise enfin les institutions sportives dont les enjeux sont importants en terme éthique (mettre en application l’une des valeurs clés du système sportif : l’égalité entre les individus), en termes de responsabilité sociale des organisations qui, par ailleurs, touchent de conséquentes subventions publiques et en terme de performances (la diversité comme gage d’efficacité et offrant une meilleure image sociale) » avance la chercheuse.

La parité dans le sport

Cette évolution dans la loi ne s’est pas faite du jour au lendemain. Elle traduit des engagements réguliers dont les étapes sont l’instauration de la loi Lamour en 2004 incitant à une représentation proportionnelle. Puis en 2014, la réforme du code du sport avec la mise en place d’une politique de quotas. Ainsi, toute fédération enregistrant plus de 40% de licenciées devait avoir un minimum de 40% de femmes au conseil d’administration et pour les autres, un minumum de 25% de femmes.

Enfin, depuis le 24 février 2022, la loi va plus loin en exigeant la parité à l’échelle des fédérations sportives pour 2024 et à l’échelle des régions pour 2028.

« au sein des instances dirigeantes sportives, les femmes n’occupent souvent pas ou peu de fonctions de réelle prise de pouvoir »

Mais un ordre du genre toujours bien ancré

Pour autant, ces chiffres encourageants cachent une réalité encore bien ancrée dans notre société : la division et la sectorisation sexuées du travail, auxquelles n’échappe pas le milieu sportif. « On se rend compte qu’au sein des instances dirigeantes sportives, les femmes n’occupent souvent pas ou peu de fonctions de réelle prise de pouvoir. On les retrouve par exemple bien plus à des postes de secrétaire ou de trésorière qu’à des postes de présidente », explique Cécile Ottogalli-Mazzacavallo. Les femmes sont aussi davantage sollicitées dans des secteurs traditionnellement considérés comme « féminins » (commission féminine, handicap, enfance…). Pour la chercheuse, il est par conséquent essentiel de s’intéresser aux mécanismes (discriminations, violences de genre) relevant de la culture des organisations afin d’inciter les femmes à occuper aussi les fonctions les plus nobles dans l’institution.

Dans l’encadrement technique, la division sexuée est même encore plus flagrante, dans la mesure où ces fonctions n’entrent pas dans le cadre de la loi sur la parité dans le sport. Ainsi, une étude en cours en partenariat avec la fédération française d’aviron montre que les femmes entraîneures exercent davantage aux niveaux départemental et régional. Les hommes quant à eux exercent plus souvent aux niveaux national et/ou international. De même, les femmes sont davantage présentes auprès des moins de 14 ans quand les hommes sont plus investis auprès des 15-18 et les séniors. Des femmes comme Amélie Mauresmo (ancienne coach de l’ex-numéro 1 mondial Andy Murray et actuelle directrice du tournoi Roland Garros), font ainsi figure d’exception.

Si les femmes pratiquent aujourd’hui tous les sports, c’est le résultat d’un long combat mené par des sportives au XXe siècle. Sortant des standards qui leur étaient imposés, ces pionnières ont pu être stigmatisées, victimes de discriminations ou de violences sexistes. Aujourd’hui, l’implication croissante des femmes dans des activités sportives doit surement beaucoup à leur engagement. Peut-être est-ce un début dans le domaine du leadership. L’impact de l’arrivée de ces figures féminines à des positions dirigeantes reste cependant à démontrer. C’est pourquoi la recherche doit davantage investir ces questions affirme Cécile Ottogalli-Mazzacavallo.

« La situation des pratiquantes a été la première entrée de nos travaux (alpinisme, football, coupe du monde féminine, escrime…). Mais sur les femmes dirigeantes, les femmes-entraineures, ou encore les femme-arbitre on sait très peu de choses. Or, ce sont des fonctions tout aussi importantes dans le sport ». Ainsi, la question du leadership sportifs des femmes reste encore, à bien des égards, un « angle-mort de la recherche ».

Le mouvement sportif en France

Ces dernières années, le mouvement sportif en France a vu les femmes s’investir davantage dans des pratiques sportives. Entre 2012 et 2017, le nombre de licenciées a progressé de +8,1%, contre 2,5% chez les hommes, d’après une étude réalisée au Laboratoire L-VIS.

Garcia, M.-C., & Ottogalli-Mazzacavallo, C. (2022). La féminisation du sport fédéral : Une affaire de petites et jeunes filles ? Agora debats/jeunesses, 90(1), 71‑85.

 

« Dans de nombreux domaines investis par des hommes, les femmes ont été invisibilisées, marginalisées, restreintes à des secteurs économiquement et politiquement peu pourvus de pouvoir. C’est visible dans le milieu sportif, et la recherche académique n’échappe pas à ce plafond de verre »

 

À lyon des chercheur·euse·s pionnièr·es sur les questions genre et sport

En France, le champ des études de genre est assez récent. Lancé à l’occasion du colloque de Toulouse de 1982, il tient toujours une place discrète mais grandissante dans le paysage de la recherche française et internationale. Mais la production de connaissances et la recherche n’échappent pas aux effets néfastes du système de genre. « Dans de nombreux domaines investis par des hommes, les femmes ont été invisibilisées, marginalisées, restreintes à des secteurs économiquement et politiquement peu pourvus de pouvoir. C’est visible dans le milieu sportif, et la recherche académique n’échappe pas à ce plafond de verre », soutient Cécile Ottogalli-Mazzacavallo. Ainsi, rien d’étonnant à ce que ces questions prennent du temps à se développer.

Comment alors briser ce plafond de verre ? Accélérer la prise de conscience ? Pour cette enseignante-chercheuse, une formation exigeante et diplômante est indispensable. « Au-delà d’un travail de conscientisation des effets de l’ordre du genre sur les individus et/ou les organisations, il est important de travailler les concepts, les théories, les outils et les méthodes permettant d’analyser et d’agir contre les discriminations et violences de genre » affirme-t-elle. C’est l’objectif  auquel répond le master Egal’APS qu’elle a fondé.

Né en 2016, cette formation a professionnalisé environ une cinquantaine d’expert·e des questions d’égalité des différents secteurs du sport (des fédérations, des associations, de l’auto-entreprise) mais aussi dans le monde de la recherche académique avec quatre doctorats en cours au L-VIS. Et en 2022, Cassandre Rivrais, qui a soutenu sa thèse sur les carrières des footballeuses amatrices en France et au Québec, est la première docteure issue de ce Master. Des pionnièr·es aussi, à leur façon, pour tenter de faire bouger les lignes de l’ordre du genre dans notre société.

1. Caprais, A. (2020). La place et le rôle des femmes dans la gouvernance des fédérations sportives françaises. [Thèse de doctorat, Université de Bordeaux]. Éducation. NNT : 2020BORD0200 ; tel- 03114344v2

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