Comment fait-on de la paléontologie aujourd’hui ? Mickaël Lhéritier, en thèse au laboratoire de géologie de Lyon, témoigne des changements dans la discipline avec l’apport de nouvelles techniques d’imagerie comme le CT-scan.
Je reprends mon travail après ma pause du midi. J’ai passé la matinée à regarder les résultats du scan d’un des fossiles réalisé la veille. Après avoir mis en évidence l’estomac présent à l’intérieur de l’animal, je me concentre sur la tête et remarque des formes particulières. La reconstruction en 3D révèle des antennes et des yeux vieux de plus de 300 millions d’années ! C’est avec ce genre d’observations que je comprends à quel point la paléontologie et la manière dont nous travaillons sur les fossiles ont évolué.
Un fossile est le plus souvent un reste minéralisé d’un être vivant après sa mort qui a pu résister aux ravages du temps jusqu’à nos jours. Mais ils se présentent parfois sous d’autre formes telles que des mues, des empreintes, des déjections et même du vomi ! Ces fossiles sont les principaux outils utilisés par les paléontologues pour tenter d’expliquer comment ces êtres vivants pouvaient se nourrir, se reproduire, etc. Malheureusement, le registre fossile – l’ensemble des données fossiles qu’on a sur une espèce/groupe d’animaux – n’est souvent qu’une infime partie de ces communautés anciennes. Un très bel exemple est le cas des myriapodes (plus communément mille-pattes) qui sont le sujet de ma thèse en paléontologie. Ces animaux sont souvent très durs à préserver à cause de leur petite taille, de leur fragilité et de leur mode de vie terrestre. De ce fait, leur registre fossile, surtout lorsque l’on commence à remonter à des temps très anciens, est faible. Heureusement, il y a ce qu’on appelle les « Lagerstätten ».
En paléontologie, un Lagerstätte (« lieu de stockage » en allemand) est ce qu’on appelle un « lieu à préservation exceptionnelle ». Ce sont des gisements où, pour des raisons diverses et variées, une plus grande diversité d’êtres vivants a été préservée et avec une bien meilleure qualité. Ces gisements sont très utiles pour les paléontologues puisqu’ils permettent d’accéder à un registre fossile plus complet (avec des restes d’animaux sans partie minéralisée, comme les annélides ou les mollusques). Pour ma thèse, j’étudie les myriapodes du Lagerstätte de Montceau-les-Mines en France près d’Autun.
Ce qui fait la caractéristique principale de Montceau, c’est la roche dans laquelle les fossiles sont préservés : des nodules de sidérite. Les spécimens y apparaissent en trois dimensions, quasiment entiers et même avec des organes internes pour certains ! Le gros du travail sur Montceau et les nodules a été fait entre les années 70 et 90. À l’époque, la technique utilisée consistait à ouvrir les nodules pour identifier ce qu’ils contenaient et même, pour certains, à retirer le fossile pour faire un moulage de l’empreinte. Ces techniques ont le désavantage d’être destructrices pour le fossile. Depuis le début des années 2000 et le développement de l’informatique, la paléontologie a bien « évolué » si j’ose dire. Le travail en laboratoire a progressé grâce à de nouvelles approches non-destructrices. Un bon exemple est le fameux CT-scan, l’un de mes outils les plus importants pendant la thèse.
Le CT-scan – ou Computed Tomography scan – est une technique d’imagerie médicale. Le principe est le même qu’une IRM. L’objet est bombardé de rayons X sous plusieurs angles. On obtient ensuite une succession de tranches sous différents axes d’orientation. Comme les différents éléments de l’objet absorbent plus ou moins les rayons X, on observe des différences de couleurs (de noir à blanc) sur les tranches. Cette technique nous permet d’observer les structures internes, ou ce qui est caché dans la roche, sans altérer ou détruire le fossile.
Dans le cas de Montceau, le CT-scan a été très efficace ! Il a révélé ce qui est à l’intérieur de la roche. Lors de mon stage de M2 et en début de thèse, j’ai scanné plusieurs myriapodes et les résultats sont époustouflants. En plus de mettre en évidence la plupart des segments du corps et les pattes, j’ai pu observer sur certains le tube digestif. Sur d’autres, j’ai pu trouver la tête et identifier dessus les mandibules, les antennes et même les yeux ! Ainsi, je peux préciser la biologie et l’écologie que pouvaient avoir ces mille-pattes. Une autre découverte importante est la mise en évidence d’appendices sexuels que l’on observe chez les mille-pattes actuels et qui sont propres à un sexe en particulier (mâle ou femelle cela dépend des groupes). Cela nous permet de voir que ce genre de dimorphisme sexuel était déjà présent il y a plus de 300 millions d’années et avec les possibles comportements reproductifs que pouvaient avoir ces animaux. Et cela nous aide aussi à pouvoir « sexer » les spécimens étudiés.
Et maintenant on peut se demander, comment cela s’intègre dans ma thèse qui porte sur la sortie des eaux des mille-pattes ? À Montceau, il y a quatre types de mille-pattes :
- Un groupe qui fait partie de ce qu’on appelle les oniscomorphes : de petits mille-pattes qui ressemblent beaucoup à des cloportes et peuvent se mettre en boule que l’on trouve en France ;
- Un groupe plus proche des iules : de longs mille-pattes noirs qu’on peut trouver dans les Cévennes
- Un groupe encore en projet sont les Arthropleura : des mille-pattes éteints connus pour leur gigantisme (les plus gros atteignaient presque les 3 mètres de longs !)
- Le dernier groupe sont les euthycarcinoïdes, des animaux disparus que l’on considère maintenant comme des « proto-mille-pattes ».
L’intérêt final est de comparer les quatre types et surtout leur biologie et leur écologie. En effet, le premier et le deuxième type étant très proches des mille-pattes actuels, ils sont terrestres. Pour les Arthropleura, cette question est encore débattue entre terrestres ou encore amphibies. Quant aux euthycarcinoïdes, ils sont maintenant considérés comme amphibies. Ainsi en essayant de voir comment change la biologie et l’écologie à travers ces myriapodes amphibies et terrestres, le but final de ma thèse sera de construire un scénario sur comment les ancêtres des mille-pattes sont sortis des eaux et ont conquis la terre ferme. Cette sortie des eaux est un sujet très important au niveau de l’histoire du vivant puisque les mille-pattes sont les arthropodes terrestres les plus anciens trouvés à ce jour. Ma thèse n’a commencé que depuis octobre, mais les résultats des scans ont été très prometteurs et ont révélé beaucoup de choses sur ces animaux disparus ! En espérant que les prochains scans soient tout aussi efficaces et nous en apprennent plus sur ces petites bêtes !
Cet article a été écrit par Mickaël Lhéritier pour Sciences pour tous.
Sa bio :
Je suis doctorant en première année au Laboratoire de Géologie de Lyon. Après une licence en Sciences de la Terre, j’ai suivi avec un master en Sciences de la Terre avec une spécialisation en Paléontologie. Ma thèse porte sur les myriapodes du Carbonifère et sur les myriapodes plus anciens en général. Le but est de construire un scénario plausible sur comment les ancêtres des myriapodes ont pu s’adapter pour sorti des eaux et coloniser la terre ferme au début du Paléozoïque. .
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