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MOBILITés urbaines

Intégrer la biodiversité dans le prix de la durabilité

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Intégrer la biodiversité dans le prix de la durabilité

VILLE DURABLE

Mobilités urbaines : intégrer la biodiversité dans le prix de la durabilité​

Mobilités urbaines : intégrer la biodiversité dans le prix de la durabilité​​​​

Par Matthieu Martin.

Ville de demain | Dans un contexte où nos déplacements se multiplient, où les distances parcourues ne cessent de s’accroître, transformer les mobilités urbaines ne peut se résoudre par la technologie. La durabilité des transports doit tenir compte des impacts économiques et sociaux pour les populations, mais aussi des conséquences pour la biodiversité, au-delà de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Une équation d’autant plus complexe que la biodiversité, dans le calcul économique, n’a pas encore de prix, explique Pierre-Yves Peguy, économiste spécialiste des transports.

La mobilité urbaine constitue un réseau complexe de modes de transports et d’infrastructures confronté à de nombreuses problématiques en matière de durabilité. Émissions de gaz à effets de serre, pollution atmosphérique et sonore, étalement urbain, congestion du trafic routier, accès inéquitable aux transports et donc aux services essentiels (éducation, emploi, santé, culture…). Et face aux enjeux climatiques, la place de la voiture individuelle dans les mobilités cristallise ces enjeux. Elle reste en effet un mode de déplacement majoritaire en ville. Au sein de la Métropole de Lyon, elle couvre 42% de tous les déplacements des personnes – environ 4 millions de déplacements. Pour aller vers une mobilité durable, l’un des enjeux est le report modal : comment amener les habitants à abandonner des modes de transports énergivores et émetteurs de GES, sans pour autant compromettre leur mobilité ? Si des leviers existent, cette question révèle que la durabilité a un prix, souligne Pierre-Yves Peguy, Maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Laboratoire Aménagement, économie et transports (LAET).

Transformer les mobilités en ville pour développer les transports en commun, les mobilités douces et partagées… Pour les collectivités, les objectifs souhaités sont clairs, et l’urgence climatique doit amener une réponse rapide. Mais quelles solutions privilégier ? C’est là que les économistes ont aussi leur rôle à jouer. « L’économie, c’est la science des arbitrages », plaide ce chercheur membre de la fédération BioEnviS de l’Université Claude Bernard Lyon 1. Et en effet, ces arbitrages doivent tenir compte de différents facteurs et différentes dimensions des mobilités : les innovations technologiques, les gains en temps, les recettes pour les opérateurs, la réalité socio-économique des ménages, ou encore l’impact sur l’environnement. Développer des politiques en faveur d’un seul de ces facteurs, sans tenir compte des autres, c’est le risque de passer à côté des enjeux de la mobilité durable.

La durabilité en ville : de quoi parle-t-on ?

La notion de durabilité ne renvoie pas seulement à la question des émissions de CO2 à l’usage, mais à un bilan des émissions globales. Une analyse en cycle de vie qu’il faut saisir, tenant compte de la durée de vie des véhicules de transports – environ dix ans pour une voiture contre 30 à 40 ans pour un train –, des matières nécessaires à la construction et à la production d’énergie. Et puis, à quoi ramener les émissions de CO2 ? Aux distances parcourues, au nombre de passagers transportés, aux gains de temps ? Selon les critères retenus, l’efficience des solutions à déployer va différer.

La ville elle-même peut être appréhendée de différentes façons. On distingue en effet différentes aires géographiques. La ville centre (Lyon et Villeurbanne), la Métropole (59 communes), ou l’aire d’attraction des villes qui peut s’étendre sur près de 40 km de rayon et englobe entre 400 et 450 communes). Selon l’aire sélectionnée, la prévalence des mobilités douces ou de la voiture varie fortement

Or, le levier technologique est aujourd’hui largement plébiscité. Et en effet, depuis plus de trente ans, les émissions unitaires des véhicules diminuent. Mais le constat n’est pas le même lorsque l’on considère les usages. Par rapport à la génération précédente, on se déplace plus et les distances parcourues ne cessent de s’accroitre. Mis bout à bout, ces effets compensent largement les gains technologiques analyse Pierre-Yves Peguy. À ce titre, la voiture électrique n’apparaît pas comme une solution durable de report modal massif. Alors qu’elle représente seulement 1,3% du parc automobile en France – sur environ 38 millions de véhicules –, il se profile une inégale répartition de son accès sur les territoires. Dans la métropole de Lyon, les communes qui ont vu leur part de véhicules électriques augmenter fortement sont celles où sont davantage représentées les catégories de cadres et plus, précise l’économiste. « Il y a cette croyance répandue que la solution à nos problèmes est d’abord technologique, mais la durabilité renvoie aussi à nos comportements », souligne-t-il. Or, comme l’a montré la crise des gilets jaunes, les ménages les plus précaires restent très dépendants de la voiture.

Zones de bruits autour des trois aéroports sur lesquels a porté l’étude DEBATS.

La distance à l’aéroport n’est pas le facteur le plus déterminant pour étudier l’exposition au bruit des riverains, ce que révèle les zones de bruits autour des trois aéroports concernés dans l’étude DEBATS. La localisation par rapport aux couloirs aériens est bien plus pertinente . Les zones d’exposition au bruit des avions dépassant les 50 dB peut ainsi s’étendre sur près de 40 km. L’organisation mondiale de la santé recommande en matière de trafic aérien d’éviter une exposition à des niveau sonores excédant 45 dB (et 40 dB la nuit). Or, en France environ 2 millions d’individus sont exposés à des niveaux sonores supérieurs à ce seuil. Près de 500 000 personnes seraient même exposés à des niveaux considérés comme critiques (> 55 dB)1.

L’augmentation du prix de l’essence sous l’effet de la crise énergétique aurait pu laisser présager une baisse de la demande, avec un report modal vers d’autres moyens de transports. Pourtant, la demande est restée sensiblement identique. Selon le chercheur, ces choix sont motivés par des arbitrages rationnels. Quelles sont les dépenses contraintes et celles qui le sont moins ? Et nombre de ménages restent « captifs » de la voiture, n’ayant pas toujours d’alternative de transports dans des environnements urbains très étalés. « L’augmentation du prix de l’essence, à court terme, amène les ménages à modifier leurs comportements de dépenses, mais pas nécessairement en faveur d’un changement de mode de transports. Ils vont plutôt diminuer les dépenses jugées secondaires comme les loisirs, la culture, la santé… », explique-t-il.

« La durabilité est aussi une question d’équilibre social et ne doit pas se faire à n’importe quel prix, et sans tenir compte des conséquences pour les populations »

À moyen et long terme, le report modal a aussi des effets sur la situation géographique des ménages, sur les prix de l’immobilier, sur le travail. C’est le rôle de l’économiste de capter et comprendre ces comportements afin d’éclairer les décisions de l’action publique.  Car l’action publique reste un moyen déterminant de changer les comportements. Mais il convient d’en analyser tous les ressorts. Ainsi, des leviers normatifs ou économiques comme la mise en place de zones à faibles émissions (ZFE), des taxes sur le carburant peuvent être vécus comme des « politiques d’exclusion ». « La durabilité est aussi une question d’équilibre social et ne doit pas se faire à n’importe quel prix, et sans tenir compte des conséquences pour les populations », plaide ce chercheur qui se montre en faveur d’une tarification sociale des transports en commun – une gratuité progressive en fonction de la situation socio-économique des ménages.

L’équation se complexifie encore davantage aujourd’hui, face à la perte alarmante de la biodiversité et la fragmentation des habitats naturels en milieu urbain. Une problématique que l’action publique se doit d’intégrer à sa politique en matière de mobilités. Comment par exemple prendre en compte la biodiversité dans un projet d’infrastructure de rail, de voierie piétonne ou routière ? Et l’ajouter à la balance des gains en matière de temps, de santé, de tonnes de carbones économisées, de recettes pour les opérateurs et de coûts ? Un savant calcul dans lequel les économistes attribuent une valeur aux choses (le temps, la tonne de carbone, le foncier, la santé…). Or, aujourd’hui, la biodiversité pose problème « on ne sait pas donner une valeur à la biodiversité dans le calcul économique » reconnait Pierre-Yves Peguy.

Dans certains domaines comme l’immobilier, les scientifiques constatent pourtant que l’environnement influence effectivement les prix. Par exemple la vue d’un paysage. Une étude menée au LAET révèle en effet que le prix des maisons, toutes choses égales par ailleurs, est impacté positivement par la vue d’une forêt, d’un champ – là où, au contraire la vue d’un réseau électrique, d’une infrastructure de transport impacte négativement les prix. L’effet est encore plus flagrant sur les terrains à bâtir pointent les chercheurs.

Les transports : quel impact sur la biodiversité ?

Qu’en est-il de la biodiversité ? Est-elle impactée par les transports ? Une étude réalisée au Laboratoire aménagement économie transports (LAET) sur les oiseaux dans la métropole de Lyon révèle en effet que le bruit des transports serait un facteur déterminant de leur présence et de leur abondance en milieu urbain.
 
En s’appuyant sur des cartes de bruits établies par l’association Acoucité, les chercheurs montrent que les variations des niveaux sonores générés par les infrastructures de transports sont corrélées aux variations de présence des oiseaux. Autrement dit, lorsqu’on enregistre une baisse des niveaux sonores, la présence d’oiseaux est accrue et là où les variations augmentent le plus, la présence des oiseaux diminue.
Un dossier Sciences pour tous réalisé à l’Université Claude Bernard Lyon 1

Comment créer des espaces plaisants à vivre pour toutes et tous, performants dans leur manière de rendre des services multiples, et adaptables et résilients face aux défis de l’Anthropocène ? Ces derniers, dans un contexte d’urbanisation croissante, ont démontré aux décideurs comme aux citoyens qu’un changement de paradigme est nécessaire. Il n’est plus possible de concevoir une métropole comme un territoire largement découplé de la nature, mais bien d’imaginer des territoires urbains et péri-urbains comme des socio-écosystèmes où humains et non-humains peuvent vivre en harmonie.

S’appuyant sur des recherches et des travaux en cours à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et dans les laboratoires lyonnais, des chercheurs et des chercheuses posent un regard sur la ville de demain, et l’importance de renouer avec notre environnement, de lui faire de la place et de le faire durer.

Un dossier Sciences pour tous réalisé à l’Université Claude Bernard Lyon 1

Comment créer des espaces plaisants à vivre pour toutes et tous, performants dans leur manière de rendre des services multiples, et adaptables et résilients face aux défis de l’Anthropocène ? Ces derniers, dans un contexte d’urbanisation croissante, ont démontré aux décideurs comme aux citoyens qu’un changement de paradigme est nécessaire. Il n’est plus possible de concevoir une métropole comme un territoire largement découplé de la nature, mais bien d’imaginer des territoires urbains et péri-urbains comme des socio-écosystèmes où humains et non-humains peuvent vivre en harmonie.

S’appuyant sur des recherches et des travaux en cours à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et dans les laboratoires lyonnais, des chercheurs et des chercheuses posent un regard sur la ville de demain, et l’importance de renouer avec notre environnement, de lui faire de la place et de le faire durer.

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