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À l’Institut Paul Bocuse, le plaisir de l’individu au centre de la table

Institut Paul Bocuse - restaurant expérimental

D’où nous vient le plaisir de manger, et pourquoi est-ce important pour nous ? Cette question, cuisiniers et scientifiques se la posent à l’Institut Paul Bocuse. Un lieu unique en France où se rencontrent sciences et arts culinaires. Sciences pour tous vous propose un avant-goût des recherches qui y sont menées.

En entrée ce midi, « Coquilles Saint jacques, céleri et sauce yuzu, le tout présenté façon pop art », annonce la serveuse, en formation à l’Institut Paul Bocuse. Derrière les fourneaux comme en salle, les étudiants en Management des arts culinaires s’activent. Dans ce restaurant expérimental, ils proposent leur cuisine audacieuse, dans l’esprit du célèbre chef lyonnais. La salle est remplie. Mais au milieu des convives, Adrien – le nom a été changé – participe discrètement à une expérience scientifique. Il passerait presque inaperçu si l’on ne faisait attention au contenu de son plat, quelque peu différents. Dans son assiette, un chef a préparé quatre pots remplis d’une crème de concombre. En apparence, rien ne les distingue. Leurs différences se révèlent en bouche. Une légère odeur épicée pour l’un, une texture enrichie de mascarpone pour l’autre, un zeste de citron en plus dans le dernier. Au cours de cette expérience, des scientifiques testent les préférences alimentaires chez des patients atteints de cancer.

En effet, à l’Institut Paul Bocuse, scientifiques et professionnels de la restauration et de la cuisine se côtoient et coopèrent pour comprendre ce qui se cache derrière nos comportements alimentaires. Avec l’objectif « de contribuer à une alimentation goûteuse, saine, durable et adaptée selon le public », résume Agnès Giboreau, directrice du centre de recherche de l’Institut Paul Bocuse. Un environnement inédit dans le paysage de la recherche en France, qui rassemble des chercheurs de disciplines allant des neurosciences aux sciences humaines et sociales, en passant par les sciences du comportement et de la nutrition. Les questions de santé et de durabilité, dans un contexte de transition écologique, y sont centrales. Mais pour cette chercheuse associée au Laboratoire Parcours Santé Systémique (P2S) de l’Université Lyon 1, manger avec plaisir reste fondamental.

Institut Paul Bocuse - Agnès Giboreau
Agnès Giboreau, directrice du centre de recherche de l’Institut Paul Bocuse et chercheuse associée au laboratoire P2S de l’Université Lyon 1

 

Le plaisir de manger

Donner envie de manger, créer du plaisir pendant le temps du repas, c’est ce que l’on enseigne à l’Institut Paul Bocuse. Mais d’où vient notre plaisir de manger ? C’est l’une des questions au cœur des activités du centre de recherche de l’institut. Or, tout comme le beau, expliquer le bon est très complexe. Le plaisir de manger se situe au niveau de chaque individu. Il dépend aussi bien de notre héritage biologique que de nos expériences tout au long de la vie – à commencer par la vie in utero. C’est l’intérêt des travaux scientifiques de l’institut, « identifier et déconstruire les facteurs biologiques, psychologiques et socio-culturels qui influencent notre plaisir alimentaire pour comprendre nos motivations à manger et formuler des recommandations spécifiques» affirme Agnès Giboreau.

Au milieu de tout cela, le rôle des sens est essentiel. « La vue d’un beau plat, l’odeur qui s’en échappe… Nos sens captent constamment toutes sortes de stimuli extérieurs qui activent dans notre cerveau le système de la récompense. Ce système fondamental pour la survie de l’individu contribue à notre envie de manger et notre plaisir à manger » explique Anestis Dougkas, chercheur à l’Institut Paul Bocuse.

Ainsi, le mélange des saveurs et épices, la texture ou encore le dressage de l’assiette éveillent nos sens et influencent notre plaisir de manger. Et au-delà d’un temps convivial, le plaisir de manger peut contribuer à une alimentation saine et durable si l’offre alimentaire est conçue en tenant compte des préférences et des besoins de chacun.

Comment par exemple favoriser la consommation de légumes chez les enfants ? Une étude menée à l’Institut Paul Bocuse a justement montré que les enfants mangent plus volontiers des légumes croquants. Un exemple concret qui peut trouver une application directement en restauration scolaire ou à la maison, pour favoriser la consommation de légumes mais aussi limiter le gaspillage en collectivité.

Institut Paul Bocuse - Cuisiniers en formation
La cuisine du restaurant expérimental, où s’attèlent les étudiants de l’Institut Paul Bocuse

 

S’adapter au contexte

Malgré tout, la biologie et les neurosciences n’expliquent pas tout. Il est nécessaire d’appréhender l’ensemble du contexte du repas et du contexte de vie des personnes pour favoriser l’alimentation. En particulier chez les personnes dont le goût se transforme au cours de la vie. C’est notamment le cas des personnes très  âgées, dont le plaisir de manger s’étiole en raison d’une diminution des capacités sensorielles (goût, odorat…) ,de troubles cognitifs, ou de plus grandes difficultés à cuisiner à domicile des plats simples et savoureux.

C’est aussi une problématique récurrente chez les personnes avec des problèmes de santé. Ainsi en est-il des personnes ayant eu recourt à la chirurgie bariatrique. Cette opération, qui peut s’imposer aux personnes en surpoids, peut occasionner des troubles alimentaires. « Après l’opération, leur consommation de protéines a tendance à chuter » observe Anestis Dougkas, qui coordonne le projet BariaTaste destiné justement à comprendre les préférences alimentaires de ces personnes. De même, parmi les personnes atteintes de cancer, environ 50% souffrent d’une perte d’odorat liée à leur traitement par chimiothérapie.

Chez ces patients comme chez les personnes âgées, l’altération du goût des aliments peut être source de malnutrition, de dénutrition. C’est tout l’enjeu des recherches à l’Institut Paul Bocuse de traduire les connaissances scientifiques en solutions concrètes et adaptées pour assurer une alimentation plus équilibrée des personnes. Ainsi, chefs et scientifiques travaillent au plus près de la vie réelle en s’attelant à mettre au point de nouvelles recettes. À l’instar du projet Canut (Cancer, Nutrition et Goût) qui s’intéresse aux modifications des goûts liées au traitements par chimiothérapies.

Institut Paul Bocuse - Anestis Dougkas
Anestis Dougkas, chercheur à l’Institut Paul Bocuse et responsable de l’équipe Nutrition et comportements alimentaires
Institut Paul Bocuse - Doctorante en expérimentation
Reconstitution d’une expérience menée à l’Institut Paul Bocuse dans le cadre du projet Somest’alim. Reisya Rizki Riantiningtyas, doctorante à Lyon 1, fait passer plusieurs tests psychopysiologiques à un volontaire

 

Une recherche tournée vers l’individu

Institut Paul Bocuse - expérience en conditions réelles
Les expériences menées avec les volontaires se déroulent au restaurant expérimental, dans un environnement proche des conditions de la vie réelle.

À partir d’expériences menées en situation réelle, Reisya Rizki Riantiningtyas teste différents paramètres. Sensibilité tactile, à la température, à la texture ou ou encore la tolérance aux épices par exemple la sensibilité au caractère « piquant » de certaines épices piments, ou au rafraichissant du menthol. « L’idée est de relier les préférences des patients avec des tests psychophysiologiques pour comprendre la sensation en bouche des personnes atteintes d’un cancer et leur proposer des plats qu’ils pourront apprécier », explique cette doctorante en co-tutelle entre l’Université Lyon 1 et l’Université de Copenhague.

Les scientifiques s’appuient pour cela sur la cuisine de Julien Ferretti, chef cuisinier et chef de projet au sein de la cuisine expérimentale de l’Institut Paul Bocuse. Il crée les repas utilisés dans les expériences scientifiques en répondant à des cahiers des charges bien précis. « Lorsque l’on cuisine tous les jours, il y a toujours des variations dans les saveurs. Or, dans ce projet les scientifiques ont besoin de contrôler le goût très précisément. Chaque volontaire doit tester exactement la même chose ». Pour autant, ajoute-t-il, pas question de recourir à une production industrielle : « c’est une façon différente de penser la cuisine. On souhaite aussi rester dans l’esprit de l’Institut. Et si les gens n’aiment pas ce qu’ils mangent, ils auront plus de mal à l’évaluer ». Une approche différente de la cuisine en restauration, mais tout autant gratifiante pour le jeune chef formé à l’Institut Paul Bocuse. Car chefs comme scientifiques gardent à l’esprit l’apport concret de leurs recherches dans la vie de tous les jours.

« Nous avons la chance de travailler et collaborer avec des chercheurs renommés en sciences de l’alimentation, mais ce lien avec les professionnels de la cuisine, avec des industriels aussi, me donne davantage le sentiment d’avoir un impact auprès des patients », ponctue Anestis Dougkas.

Construire des connaissances scientifiques et apporter des solutions culinaires pour améliorer la qualité de vie des gens. Finalement, l’esprit du chef fondateur de l’Institut n’est pas loin, lui qui disait « qu’il n’y a pas de bonne cuisine si au départ elle n’est pas faite par amitié pour celui ou celle à qui elle est destinée ».

Institut Paul Bocuse - le chef de la cuisine expérimentale
Julien Ferretti, chef cuisinier et chef de projets à l’Institut Paul Bocuse

Crédits photographiques : © Eric le Roux – Direction de la communication de Lyon 1

 

Ressources :

Des légumes et des enfants, issu de la thèse de David Morizet, de la collection “Alimentation & bien-être”, Institut Paul Bocuse & Apicil

Grand âge, Alzheimer et maladies apparentées

Livret Chirurgie bariatrique et goûts, ce qui change, livret issu de la thèse de Erika Guyot, de la collection « Alimentation et Bien-être » Institut Paul Bocuse & Apicil

Le plaisir de manger sous chimiothérapie, livret issu de la thèse de Kenza Drareni, de la collection « Alimentation et Bien-être » Institut Paul Bocuse & Apicil

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