Aller au contenu

Comment sont élaborées les recommandations vaccinales ?

Des chercheurs en économie de la santé au laboratoire P2S décortiquent les processus de prises de décisions en matière de vaccination.

Faut-il autoriser ou interdire tel vaccin contre Covid-19 ? A qui ouvrir en priorité la vaccination ? Comment organiser la campagne de vaccination ? Depuis le début de la crise sanitaire, les décideurs politiques sont amenés à faire des choix quotidiens en matière de santé. Dans un contexte d’urgence, où les données évoluent au jour le jour et se diversifient au cours du temps, l’exercice se révèle d’autant plus complexe. Et difficile pour les citoyens de s’y retrouver. Les lenteurs de la campagne de vaccination observées depuis le mois de janvier n’ont d’ailleurs pas manqué de susciter nombre d’interrogations, voire d’incompréhensions.

Entre les motivations des décideurs et la recherche d’un compromis qui intègre les données scientifiques disponibles, décortiquer ces prises de décisions n’est pas simple. D’autant que, de la commercialisation d’un vaccin jusqu’à son administration dans les centres de vaccination, une multitude d’acteurs sont amenés à se prononcer à différentes étapes essentielles du processus. Mais qui sont justement ces différentes parties prenantes des décisions en matière de vaccination ? Et comment ces décisions sont-elles élaborées ?

C’est justement ce qui intéresse Hans-Martin Späth, chercheur au laboratoire P2S (Parcours Santé Systémique), qui a étudié en particulier l’élaboration des recommandations vaccinales contre la grippe saisonnière. Ses travaux montrent comment l’information scientifique disponible n’exerce pas le même poids chez les décideurs selon le pays, soulignant notamment des différences culturelles.

 

Qui décide de quoi ?

Les décisions en matière de santé font intervenir une multitude d’acteurs, variables selon l’innovation considérée et l’enjeu sociétal. L’ajout d’un médicament au livret thérapeutique d’un hôpital, c’est-à-dire la liste des médicaments pouvant être prescrit à l’hôpital, impliquera plutôt des acteurs régionaux et locaux (médecins, pharmaciens hospitaliers…). A l’inverse, nous avons vu que les décisions en matière de vaccination contre Covid-19 ont davantage été prises aux échelons national et européen. Cette crise sanitaire inédite a d’ailleurs vu émerger de nouveaux acteurs décisionnels en matière de santé, à commencer par le conseil scientifique Covid-19.

Mais revenons d’abord au circuit traditionnel de décision en matière de vaccination. Celui-ci s’appuie sur des instances établies depuis de nombreuses années, amenées à évaluer quatre points essentiels avant d’autoriser l’administration d’un vaccin à la population :

  1. L’autorisation de mise sur le marché (AMM)

Pour décerner cette autorisation, les agences concernées évaluent :

  • La bonne qualité de fabrication du vaccin
  • L’efficacité du vaccin
  • La sécurité du vaccin
  1. Le taux de prise en charge par l’assurance maladie
  2. La négociation des prix
  3. L’organisation du programme de vaccination
 

Prise de décision - recommandations vaccinales : qui décide de quoi ?
Infographie interactive : cliquez sur l’image et découvrez les différents acteurs impliqués dans les prises de décision en matière de vaccination

Pourquoi certains vaccins déjà commercialisés ne sont pas encore autorisés dans l’Union européenne ?

Après les alertes sur les cas de thromboses, l’Union européenne avait suspendu la commercialisation d’AstraZeneca au motif de la sécurité du vaccin. Cette étape allant de pair avec l’efficacité du vaccin pour l’autorisation de mise sur le marché, les décisions se basent sur l’évaluation de la balance bénéfice-risque. 

Ce circuit de validation explique aussi, du moins en partie, les blocages observés au niveau du vaccin russe « Spoutnik ». En effet, la qualité de fabrication est un critère nécessaire pour obtenir l’AMM d’un vaccin et les autorités européennes doivent d’abord vérifier si la  qualité de fabrication est conforme aux normes européennes.

Cette multitude d’acteurs mobilisés autour de la vaccination rend extrêmement complexe l’analyse de ces processus de décision. Pour mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre, Hans-Martin Späth a analysé un cas particulier : les recommandations vaccinales concernant les populations cibles du vaccin contre la grippe.

 

Un poids différent de l’information scientifique selon les pays

Très tôt ce chercheur s’est intéressé à la place des études médico-économiques dans les processus de décision, étudiant leur impact en regard d’autres données scientifiques comme les études cliniques, épidémiologiques…

Pour donner des éléments de réponse, Hans-Martin Späth et Maria-Laura Silva, qui a réalisé sa thèse sur ce sujet, ont mené d’abord une revue de la littérature internationale, puis une enquête par entretiens semi-directifs avec les décideurs dans deux pays : la France et les Pays-Bas. « Deux pays proches géographiquement, au contexte épidémique similaire, mais aussi marqués par des différences culturelles » précise le chercheur.

En matière de stratégie vaccinale, ces deux pays sont à la fois très similaires et se différencient sur des points particuliers. En France, l’âge seuil des personnes prioritaires à la vaccination contre la grippe est fixé à 65 ans, tandis qu’il est abaissé à 60 ans aux Pays-Bas. De plus, ce dernier ne recommande pas la vaccination des femmes enceintes à l’inverse de l’avis émis par la commission de l’HAS en France. Des décisions différentes prises pourtant sur la base d’informations scientifiques très proches observe Hans-Martin Späth. « Les décideurs ont eu accès et ont utilisé les mêmes informations cliniques, épidémiologiques et médico-économiques, mais ces informations n’ont pas eu le même poids dans la décision selon le pays ».

Aux Pays-Bas, une étude médico-économique a particulièrement impacté la décision concernant la définition de la limite d’âge. Ses résultats montraient qu’un seuil des populations prioritaires fixé à 60 ans avait un ratio coût-efficacité favorable. Or, le comité de vaccination en charge des recommandations à cette époque comptait un économiste de la santé, contrairement à la commission française. La présence ou l’absence d’expert dans ce domaine a donc pu impacter la décision finale. En effet, cet expert peut indiquer aux autres décideurs si la qualité méthodologique des études médico-économiques est bonne. Si tel est le cas, ces études peuvent avoir une influence sur la décision. Toutefois, le rôle réel des experts reste difficile à évaluer nuancent les chercheurs.

Pour Hans-Martin Späth, ces décisions prises par les deux pays s’expliquent aussi par des processus de décision différents. En effet, plusieurs experts hollandais étaient favorables à la vaccination des femmes enceintes, sans pour autant infléchir la décision de ne pas les inclure dans les populations cibles. « En France, la décision se décide généralement à la fin par un vote, alors qu’aux Pays-Bas, c’est davantage la recherche de consensus qui importe. Tant que celui-ci n’est pas obtenu, c’est la mesure déjà en place qui sera conservée » explique le chercheur.

Cette comparaison illustre bien l’importance des spécificités culturelles entre les deux pays, à travers des processus de décisions différents, qui impactent les choix en matière de stratégies vaccinales.

 

Le coût des vaccins 

Hans-Martin Späth souligne notamment la place des études médico-économiques, qui ont eu un impact aux Pays-Bas. Au côté des études cliniques et épidémiologiques, elles constituent des sources d’informations précieuses. « Elles commencent à prendre davantage de poids dans les processus décisionnels, même si c’est bien plus marqué dans les pays anglo-saxons ». Car au-delà de la fiabilité et de la sécurité d’un vaccin, de ses effets bénéfiques pour la population, toute innovation en santé fait aussi l’objet d’une évaluation de son ratio coût-efficacité et de son « service médical rendu ».

Comparé à d’autres produits commercialisés, il faut savoir quelle est l’efficacité d’un nouveau vaccin, quels en sont les bénéfices pour la population en matière d’amélioration de la santé et de la prise en charge, puis quels sont les coûts, aussi bien les coûts liés au vaccin et à la mise en place du programme de vaccination que les coûts évités. Cette évaluation médico-économique va justifier les arbitrages faits en matière de négociation des prix avec les laboratoires pharmaceutiques, mais aussi justifier le taux de remboursement par l’assurance-maladie.

Contrairement à certaines prises de décision qui sont intervenues à l’échelon européen, le choix du taux de remboursement est une prérogative nationale. La commission de la transparence de l’HAS est chargée de donner un avis, sur la base du « service médical rendu ». Cet avis est adressé au ministère de la santé qui décide de l’inscrire ou non sur la liste des médicaments remboursés. Enfin, c’est l’Union nationale des caisses d’assurance maladie qui fixera le taux de remboursement (UNCAM) en fonction de l’avis de la commission de la transparence.

Ainsi, de nombreux vaccins sont remboursés à 65%, tandis que d’autres font l’objet d’une prise en charge totale. C’est le cas du vaccin contre la grippe. Dans le cas de Covid-19, au vu de l’enjeu sanitaire, il est apparu nécessaire de proposer un remboursement à 100%. Mais pour l’Etat, qui va financer l’achat des vaccins, la négociation des prix reste primordiale.

 

Négocier en toute transparence ?

Les notions de l’amélioration du service médical rendu (ASMR), et du ratio coût-efficacité vont là encore jouer un rôle important dans la négociation des prix : qu’elle est l’innovation de ce nouveau vaccin, est-ce qu’il apporte beaucoup par rapport aux autres vaccins déjà commercialisés ? Les laboratoires pharmaceutiques vont également tenir compte de ces données dans les prix qu’ils vont revendiquer. Ainsi, à l’annonce en 2014 d’un nouveau traitement efficace contre l’Hépatite C, le laboratoire Gilead avait affiché un prix très élevé pour son médicament.

La négociation des prix des médicaments et des vaccins reste en Europe une prérogative nationale. C’est pourquoi la gestion de la crise Covid-19 constitue une première exceptionnelle en la matière. En effet, les négociations ont été menées à l’échelon européen. « L’objectif était d’obtenir un prix uniforme au sein de l’UE, dans un souci d’égalité d’accès au vaccin pour tous les pays membres » affirme Hans-Martin Späth. Le poids de l’union européenne, en comparaison de celui de chaque pays individuel a très certainement pesé dans la négociation des prix, la population à vacciner étant plus importante que dans un seul pays. Cependant, ce choix pourrait aussi expliquer certains retards observés dans la campagne de vaccination observe ce chercheur. L’Union européenne s’attelait à un exercice inédit, car au-delà de la négociation des prix, de nombreux aspects techniques doivent être évalués : la vérification des capacités de production, la disponibilité des ingrédients ou l’utilisation des doses…

« L’Europe a probablement surestimé la disponibilité des vaccins dès février-mars et n’a peut-être pas vérifié tous les détails techniques liés à la production des vaccins » explique Hans-Martin Späth. Et d’ajouter que « c’était une gestion exceptionnelle pour l’UE, ce qui explique en partie que l’on soit allé moins vite qu’aux Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, qui se sont appuyés sur des commissions déjà rompues à cet exercice ».

Toujours est-il qu’il reste difficile d’avoir du recul sur ces processus, tant ces négociations restent opaques, ce que déplorent depuis plusieurs années des associations de patients. « Pour les laboratoires, il s’agit d’informations stratégiques qui relèvent du secret commercial. Il ne s’agit pas d’un processus aussi transparent que d’autres étapes décisionnelles en matière de vaccination ». C’est d’ailleurs pourquoi la commission européenne s’est trouvée embarrassée par la révélation du prix des vaccins par la secrétaire d’état belge au budget.

L’analyse de ces processus de décision se révèle essentielle pour comprendre les enjeux et la complexité des décisions qui doivent être prises en matière de vaccination. D’autant que le caractère d’urgence de la crise Covid-19, l’évolution quasi-quotidienne des données renforcent les incertitudes. C’est pourquoi les chercheurs restent prudents dans leurs analyses. Ces travaux effectués sur le vaccin contre la grippe ne sauraient être trop rapidement extrapolés à la crise sanitaire que nous traversons. Ils permettent néanmoins de mettre en lumière certains mécanismes de décision en santé comme les modes décisionnels (recherche de consensus ou vote), ainsi que la place des experts.

Mais leurs poids réel de ces derniers reste difficile à évaluer pour les chercheurs. « Pour comprendre ces mécanismes décisionnels plus finement, il nous faudrait pouvoir mener une observation directe non-participante, c’est-à-dire avoir la possibilité d’assister aux réunions des commissions chargées des avis en tant qu’observateur ». Une idée inspirée de l’expérience du National Institute for Health and Care Excellence (NICE) en Angleterre, qui a accepté qu’un sociologue spécialisé dans la prise de décision en santé réalise une observation non-participante. En France, des organismes comme l’HAS montrent davantage de transparence, mais Hans-Martin Späth n’a pas encore eu cette opportunité. Pourtant, à l’heure où la défiance envers les institutions est bien réelle, une telle ouverture constituerait certainement un grand intérêt scientifique tout autant qu’un enjeu de citoyenneté.

 

Un article co-écrit avec Hans-Martin Späth

Maître de Conférences – HDR à l’Université Claude Bernard Lyon 1 en santé publique et économie de la santé, et chercheur au Laboratoire Parcours, Santé systémique (P2S) au sein du département de santé publique de l’Institut des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques (ISPB).

 

Pour aller plus loin

https://www.sciencesetavenir.fr/sante/des-associations-denoncent-les-prix-exhorbitants-et-injustifies-des-nouveaux-medicaments_125138

https://fr.wikipedia.org/wiki/National_Institute_for_Health_and_Care_Excellence

https://www.has-sante.fr/jcms/c_412210/fr/commission-de-la-transparence

https://www.ameli.fr/assure/remboursements/rembourse/medicaments-vaccins-dispositifs-medicaux/vaccination

https://www.ameli.fr/medecin/sante-prevention/programmes-prevention/vaccination-grippe-saisonniere

Pop’sciences – Dossier vaccination : De la variole à la Covid : entre peurs, espoirs et raison 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *