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La stimulation électrique du cerveau ? Ne stressez pas !!

La stimulation électrique du cerveau est aujourd’hui une voie prometteuse pour étudier le trouble de stress post-traumatique. Mais rassurez-vous, elle n’a rien à voir avec ce que l’on peut en imaginer, nous explique Philippe Vignaud.

Un évènement à potentiel traumatique est un évènement qui expose à la mort ou à une atteinte sérieuse à l’intégrité physique. Les évènements des dernières années (Bataclan à Paris en 2015, 14 juillet à Nice en 2016, ..) ont malheureusement donné le vent en poupe à ce concept ainsi qu’à une affection psychiatrique qui peut survenir dans ce contexte, à savoir le trouble de stress post-traumatique (TSPT). Il consiste en des souvenirs répétés (flashs, cauchemars), une hypervigilance et une activation émotionnelle douloureuse lorsque la personne est confrontée à des éléments qui lui rappellent l’évènement. Le TSPT apparait dans les mois qui suivent l’évènement ; il est partiellement connu par la science et plusieurs outils thérapeutiques sont disponibles. Entre autres, la technique de psychothérapie Eye Movement Desensitization Reprocessing (EMDR) est un outil validé pour le traitement de cette affection.

Nous sommes cependant confrontés à plusieurs problèmes. Premièrement, on connait moins bien les modifications neurobiologiques et physiologiques présentes dans la phase précoce après un évènement à potentiel traumatique. Deuxièmement, pour le Trouble de Stress Aigu (TSA), c’est-à-dire l’affection regroupant les symptômes présents dans cette phase précoce, l’arsenal thérapeutique est à la fois moins codifié et moins fourni. Plus particulièrement, la psychothérapie, dont la technique EMDR, est certes l’outil le plus efficace pour soigner les symptômes psychotraumatiques mais elle n’est pas toujours disponible dans la phase précoce et certains patients, pour diverses raisons, y sont peu sensibles. Il est nécessaire de mieux comprendre cette affection et de renforcer notre capacité à agir à la phase précoce suivant l’évènement à potentiel traumatique.

Pour ces raisons, la stimulation électrique transcranienne pourrait être une piste intéressante et est au cœur de mon travail de thèse. Vous écarquillez peut-être les yeux de stupeur à la lecture de cette phrase… La stimulation électrique ?? Comme dans le film Vol au-dessus d’un nid de coucou, où l’on voit Jack Nicholson traité de façon peu orthodoxe par des électrochocs ?? Non, rassurez-vous ! Fort heureusement, ce genre de scène n’a plus cours depuis bien longtemps. Pour autant, l’idée de stimuler le cerveau avec un courant électrique continue de faire son chemin dans la psychiatrie moderne et dans les neurosciences. Nous y reviendrons plus tard.

 

Un corps de combattant

Lorsque nous sommes soumis à un facteur de stress, nous pouvons en général compter sur le corps humain, véritable guerrier prêt à faire face à la menace. Du cerveau qui prend les commandes des opérations aux différents organes qui exécutent, en passant par des hormones qui jouent un rôle de courroie de transmission, nous disposons de nombreux mécanismes bien huilés au fil de l’évolution pour nous défendre. Dans mon projet de thèse, je m’intéresse particulièrement au cortisol.

Parfois surnommée hormone du combat, elle aide le corps à mobiliser de l’énergie et concentrer cette ressource vers la réaction à un facteur de stress. Sa production est sous le contrôle d’autres hormones, produites dans le cerveau par des structures qui entretiennent des liens plus ou moins directs avec le cortex frontal. Cette région, située derrière le front, joue un rôle important dans l’expression et la régulation de nos émotions. Quand tout se passe bien, le facteur de stress est analysé au niveau du cerveau et notamment dans le cortex frontal ; au bout de la chaîne, du cortisol est secrété pour répondre à ce facteur de stress. Une fois que ce dernier est neutralisé, la production du cortisol diminue et le corps revient au repos. En plus, les mécanismes de gestion du stress ont une qualité supplémentaire qui est la réactivité : ils se déclenchent juste au bon moment, juste ce qu’il faut, juste le temps nécessaire.

J’ai dit « en général » ? Et oui, l’histoire n’est pas aussi belle lorsque le facteur de stress est extrême comme un évènement à potentiel traumatique. La belle mécanique décrite ci-dessus se dérègle. Comment ? Dans mon travail de thèse, je me penche sur l’hypothèse que cette réactivité à un facteur de stress serait altérée, notamment la production de cortisol.

 

La stimulation électrique du cerveau

Je vais parler un peu plus en détail de ce que l’on appelle « stimulation électrique transcranienne ». Cela consiste à faire circuler un courant électrique entre 2 électrodes, posées sur le crâne du patient. Il n’y a pas de crise épileptique ou d’anesthésie, les sujets recevant une telle stimulation ressentent en général d’une légère sensation d’échauffement sous l’emplacement des électrodes et de maux de tête sans gravité. La tolérance est donc très bonne. Cette technique est utilisée chez l’homme depuis une vingtaine d’années et elle a deux grandes catégories d’application. D’une part elle est utilisée pour traiter les symptômes de maladies neurologiques et psychiatriques ; d’autre part, stimuler le cerveau avec un courant électrique aide à mieux connaitre son fonctionnement, que ce soit chez le sujet sain ou chez le sujet malade. Les multiples paramètres réglables, par exemple la position des électrodes sur le cerveau ou le type de courant électrique délivré, offrent de nombreuses possibilités à l’investigation scientifique.

Stimulation électrique du cerveau - expérience menée au CRNL
Stimulation électrique du cerveau (ou transcranienne) – expérience menée au CRNL

 

Explorer la réponse au stress chez un individu stressé

Depuis quelques années, des chercheurs se demandent si la stimulation transcranienne peut avoir un impact sur la réponse à un facteur de stress. Comment est-ce que cela se déroule ? Très simple ! On soumet le participant à une épreuve de stress standardisé et réalisable en laboratoire : tremper la main dans de l’eau (très) froide pendant plusieurs minutes ; faire du calcul mental le plus vite possible et sans erreur sous peine de recommencer ; simuler un entretien d’embauche devant un jury… Pendant ce temps-là, le participant reçoit la stimulation transcranienne sur le cortex frontal.  Cela tombe bien puisque, non seulement le cortex frontal joue vraisemblablement un rôle en condition physiologique dans la réponse au stress, entre autre en influençant la sécrétion de cortisol, mais en plus il est aisé de cibler cette zone avec les électrodes de la stimulation transcranienne. Chez le sujet sain, cette stimulation semble influencer la réponse à un facteur de stress, ce que les chercheurs ont notamment constaté en suivant la sécrétion du cortisol au fur et à mesure de l’épreuve de stress.

Mais alors… qu’en est-il chez le sujet qui présente un trouble de stress aigu, à savoir qui est en état d’alerte et dont le cerveau pourrait être considéré comme « stressé » en permanence ? Comment réagit-il s’il est exposé à une épreuve de stress de laboratoire ? Et est-ce que la stimulation transcranienne du cortex frontal pourrait moduler la sécrétion du cortisol dans ces conditions ? Ces questions sont au cœur de mon travail de thèse !

 

La médecine propose des questions, la science construit la réponse

Et ensuite… à quoi cela va-t-il servir ? La réponse à toutes ces questions va améliorer notre connaissance de la physiopathologie du trouble de stress aigu. Et cette connaissance favorise la mise au point de nouveaux traitements. En médecine, si les exemples de découvertes thérapeutiques « accidentelles » ne manquent pas, la démarche plus courante reste de découvrir progressivement la physiopathologie d’une maladie par jeux de questions-réponses successifs jusqu’à des hypothèses suffisamment élaborées pour proposer un nouveau traitement.

Et justement… la stimulation transcranienne ne pourrait-elle pas être un de ces futurs traitements à proposer aux personnes souffrant de trouble de stress aigu ? Je suis actuellement au début de mon travail de thèse et il est de toute façon prématuré de répondre par oui ou non à la question. Mais dans quelques années, on pourra probablement répondre et je serai très heureux si mon projet de thèse devient une des pièces de ce puzzle.


Cet article a été écrit pour Sciences pour tous par Philippe Vignaud, doctorant dans l’équipe Troubles psychiatriques, Recherche en Neurosciences et Recherche Clinique (PsyR²) au Centre de recherche en Neurosciences de Lyon.